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Afrique du nord : Le retour des taifas. par Salima GHEZALI

Ce que deviendra la Libye dans les semaines, les mois, voire les années à venir va occuper de nombreux experts et autres spécialistes, puis la normalisation, ici comme ailleurs, va faire son œuvre.

Une double peine.

Les libyens comme les irakiens avant eux, même si c’est sous une forme différente, vont faire l’expérience du double malheur d’avoir été dominés par un fou sanguinaire durant des décades et de devoir en subir les conséquences bien après la chute du tyran. Il est fort probable que la joie provoquée par l’effondrement du pouvoir de Kedhafi sera de courte durée. Mammeri décrit admirablement dans La meute1 une nouvelle publiée en 1976, ces moments de l’histoire que les foules célèbrent pendant que des pouvoirs hostiles à toute liberté se mettent en place.

Un système qui s’impose à un peuple durant plus de quarante ans ne se dissipe pas au terme d’une course de six mois au travers du désert. Les systèmes de domination ne disparaissent véritablement que si on oppose à leur génie destructeur l’aptitude à la construction. Sinon ils ne font que se succéder jusqu’à l’effondrement général. Il est vrai qu’il est plus commode de croire qu’il suffit de s’armer d’un ‘’Irhal ‘’, d’une Kalachnikov et d’une assistance étrangère pour faire advenir un ordre nouveau.

Dans les sept piliers de la sagesse,2 T.E. Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, développait l’esprit qui préside depuis longtemps à ces réaménagements du monde arabe : « Nous devons adopter le principe d’un déploiement maximum et donner au prêche plus d’importance qu’à la lutte même ». Tout le contraire de ce que recommandent des hommes comme Abdel Hamid Mehri3ou Hocine Aït Ahmed4 qui savent pertinemment que la lutte contre la domination coloniale ne fut pas une simple virée dans les djebbels comme aiment à la travestir les néo-colonisateurs mais un long et patient travail de mobilisation sociale. En plus d’un programme commun entre les différentes composantes du mouvement national.

Bernard Henri Levy qui a eu du mal à rivaliser en France avec Sartre se trouve certainement plus à l’aise dans la posture d’un Lawrence d’Arabie : Après avoir prêché les bienfaits de l’éradication des islamistes au nom de la laïcité en Algérie il s’en va prêcher sur France 24 les vertus de la charia en Libye.
Selon cette approche, la seule forme de mobilisation pour les arabo-berbères est celle qui fait l’économie de la lutte. A ne pas confondre avec la guerre. Les guerres on en a eu et on en aura à profusion.

De la verroterie et de l’eau de feu

Le pire crime des régimes arabes et africains post coloniaux est d’avoir amputé leurs sociétés de tout esprit de résistance. A ne pas confondre avec la colère, la révolte et les multiples jacqueries que l’on habille pompeusement de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. La brutalité de ces régimes et leur incapacité à construire des états et des institutions régis par des lois ont balisé la voie à une société de clientèles ou d’insurgés et non de citoyens. Or la démocratie et la liberté sont affaire de citoyens.

Dans une étude récente sur la société civile et la démocratisation dans les pays du Golfe5 Les auteurs notent : « … la participation de la société civile ne mène pas les individus vers une compréhension plus grande de la démocratie, ni vers une culture politique démocratique. Au lieu de cela, les qataris, hommes et femmes, qui canalisent leurs ambitions sociales, économiques et politiques par la participation en associations civiques vont d‘une façon disproportionnée être moins tolérants envers les autres, moins orientés vers la démocratie et moins confiants envers les institutions gouvernementales formelles…ce que l’enquête montre vraiment est que la participation civique ne mènera pas d’elle-même les qataris vers des orientations plus démocratiques comme la confiance politique, la tolérance sociale ou le soutien pour un système politique démocratique. C’est précisément ceux qui valorisent le moins la démocratie qui ont tendance à être les plus activement impliqués dans la société civile. »
Ce propos n’est pas étranger à celui d’Ahmed Adhimi qui soutenait dernièrement qu’on ne pouvait pas parler de société civile en Algérie car les milliers d’associations existant sur le papier n’avaient d’autre finalité, pour l’écrasante majorité d’entre elles, que de servir de clientèle au régime en place.

Les concepts tirés de l’expérience historique des sociétés démocratiques ont été utilisés pour enjoliver la vitrine et y placer les élites dans tous les pays arabes, tandis que face à la brutalité des états, la tentation d’un bras de fer militaire l’emporte au sein de l’opposition à la tyrannie sur le travail d’organisation sociale.

L’intervention étrangère n’a alors qu’à se produire, elle n’aura que l’embarras du choix au sein d’une société civile soucieuse de son seul confort dont une part n’aura aucune peine à changer de maitre tandis que l’autre s’alignera jusqu’au bout sur les délires de destruction du pouvoir en place. Le décors est planté pour l’affrontement, il ne reste qu’à faire défiler les candidats. Rien n’a changé depuis la conquête de l’Amérique et l’extermination des indiens : un peu de verroterie pour la façade démocratique et des armes de guerre en guise d’eau de feu.

La résurgence des taifas

Mais pour l’Algérie ce sujet sert d’ores et déjà à illustrer l’indigence politique de la gestion actuelle. Jamais, depuis l’indépendance et même aux pires moments du conflit avec le voisin marocain la position de l’Algérie n’avait été aussi inconfortable. Certes, loin des feux de la rampe, les alliances sécuritaires conclues dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » offrent quelques marges de manœuvre au régime. Certes, la nouvelle ère qui vient de s’ouvrir à nos frontières ne sera pas exclusivement libyenne. Aussi longtemps que l’exigeront les intérêts occidentaux l’OTAN sera le « nouveau guide » de la révolution libyenne. Et dans le désert politique que laissent derrière eux les régimes arabes il serait malvenu de s’en plaindre. Mais ici, aux brèches ouvertes à l’intérieur du pays par le terrorisme et le contre-terrorisme, vont s’ajouter les mille et unes plaies d’un environnement instable.
Les signes d’animosité que certains représentants du CNT ont dès le début de la révolution montré à l’égard du régime algérien peuvent avoir diverses causes. Certaines plus avouables que d’autres sur lesquelles plane un parfum d’inspiration étrangère. Même si nul ne peut objectivement faire grief à un peuple sous la domination d’un despote sanguinaire d’aller chercher à l’extérieur la force qui lui manque. Et du point de vue de la défense des peuples, il ya longtemps que le régime algérien ne fait plus recette. Seuls les amnésiques perdent de vue que le peuple algérien a payé en vies humaines lors de la « sale guerre » des années 90 bien plus que toutes les révolutions arabes réunies. Un prix, qui tôt ou tard, viendra de nouveau peser dans l’équation globale. Quand le monde change, le temps lui-même change. Les huit mois perdus par le pouvoir à dribbler pour ne pas faire des réformes qu’il aurait fallu faire aussi consensuelles que possible vont ramener sur les devants de la scène, dans un formidable effet boomerang, les Vingt années passées à enterrer les précédentes. Le retour en force du terrorisme n’est pas sans lien avec cette double impuissance à réformer le système et à sortir de l’engrenage de la violence.
Tout comme l’odeur de souffre qui plane au dessus du Sahel n’est pas étrangère à l’engouement du président Sarkozy pour la révolution libyenne. Et si le chantre de l’éradication tous azimuts, le sieur Bernard Henry Lévy trouve subitement des vertus à la charia islamique que revendiquent certains révolutionnaires libyens c’est que le jeu en vaut la chandelle. Pendant que nos stratèges autochtones s’épuisent à redessiner la nomenclature des partis politiques et des groupes de toutes obédiences nos partenaires étrangers redessinent la carte du monde. Sous nos pieds.

Si le génie local n’arrive pas à s’incarner dans une vision alternative qui arrive à préserver les équilibres internes et à les connecter positivement sur les attentes externes c’est toute l’Afrique du nord qui risque de basculer dans le chaos.

Il est vrai qu’on célèbre cette année les 1300 ans d’al Andalus. C’est en 711 que Tarik ibn Zyad débarqua aux environs de Gibraltar pour poser les jalons d’une aventure qui prospèrera sous le nom d’Andalousie avant de finir dans les déchirements des taifas. Le sieur Guéant était dans l’esprit des siècles quand il parla de croisade à propos de l’intervention en Libye. Mais comme le dit la mère d’Abou Abd Allah az- zughbi à son fils lors de la chute de Grenade : « Ne pleures pas comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme ».

la NATION le 23-08-2011


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1 - Moumoud Mammeri : La meute in Escales, recueil de nouvelles, Editions Bouchènes.
2 - T.E. Lawrence : Les sept piliers de la sagesse (Tome 1) petite Bibliothèque Payot Paris 1963
3 - Lettre de A. Mehri au président Bouterflika
4 - Message de Hocine AIT AHMED AUX ALGERIENNES ET AUX ALGERIENS.
5 - Société civile et démocratisation dans le monde arabe