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Algérie : le pays entre dans une « nouvelle ère de répression »

En Algérie, un amendement du Code pénal élaboré par l’exécutif est en cours d’adoption par le Parlement. Officiellement, les nouvelles mesures visent à incriminer des faits relevant de « l’atteinte à la sécurité de l’État et à l’unité nationale ». Mais pour de nombreux observateurs, ce texte a pour objectif de mater la société dans sa globalité.

Redouane Medjedoub, jeune père de famille habitant un petit village de la région de Tlemcen (500 km à l’ouest d’Alger), a été présenté, dimanche 19 avril, devant un juge pour avoir écrit le post suivant sur son compte Facebook : « Le confinement ne prend réellement que 14 jours et le pouvoir est en train de profiter durant la période du coronavirus pour emprisonner les activistes. »

Accusé d’incitation à attroupement non armé et d’outrage à corps constitué, ce citoyen est condamné en comparution immédiate à une année de prison ferme. Ce genre d’information est relayé quotidiennement par le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), groupe de bénévoles solidaires avec les militants du Hirak poursuivis par la justice. Me Djerdjar Leila, avocate à la Cour d’Alger et membre du collectif de défense des hirakistes, juge la situation « très préoccupante ».

« Nous assistons à la multiplication des convocations depuis quelques semaines. Il ne se passe pas un jour sans que des citoyens impliqués dans le Hirak ne soient convoqués dans les locaux des services de sécurité. Cette vague touche toutes les régions du pays. Les gens s’expriment sur les réseaux sociaux car la grande majorité des médias est bâillonnée. À ce rythme, tous les Algériens seront placés en détention préventive. À mon avis, l’État algérien n’est jamais arrivé à un tel niveau de restriction des libertés fondamentales », confie-t-elle à Sputnik.

Subterfuge

Selon Me Djerdjar, l’avenir s’annonce encore plus sombre au vu des dispositions introduites par le gouvernement dans le Code pénal. Le texte, qui est actuellement en cours d’adoption par les deux chambres du Parlement, comporte une série de mesures jugées contraires aux principes de libertés individuelles.

Lors de la présentation du nouveau texte de loi devant les députés, le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati a indiqué que les articles visent « à incriminer des faits portant atteinte à la sécurité de l’État et à l’unité nationale (…) ainsi que des faits susceptibles de porter atteinte à l’ordre et à la sécurité publics » à travers des peines pouvant aller de 5 à 7 ans de prison ferme assorties de fortes amendes. Revêtant une importance majeure pour le pays et la société, ces textes auraient « un impact direct sur la moralisation de la vie publique et la réalisation de la sécurité, la stabilité et la justice sociale », a affirmé le ministre de la Justice, le 23 avril, cité par l’Agence de presse algérienne (APS). « C’est justement ce à quoi aspire la nouvelle République que nous souhaitons édifier rigoureusement, sans discrimination aucune entre les Algériens », ajoutait Belkacem Zeghmati, cité par la même source.

Sale temps pour les journalistes algériens

Me Djerdjar Leila reproche au gouvernement d’avoir utilisé un « subterfuge » (l’article 36 de la loi fixant les relations fonctionnelles entre les chambres du Parlement et le gouvernement, ndlr) pour faire adopter ce texte dans le cadre d’un débat restreint. « Le gouvernement ne peut mettre en avant le caractère d’urgence pour faire adopter ces amendements du Code pénal. Il n’y a eu ni débats à l’Assemblée, ni même au sein des corporations des avocats et des magistrats », déplore l’avocate.

Pour sa part, Me Zoubida Assoul, également avocate et présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), s’interroge sur l’utilité d’un tel amendement. « La loi actuelle comporte déjà des dispositions pour prendre en charge les infractions d’atteinte aux personnes ou à la stabilité du pays. Je ne comprends pas le timing et l’opportunité de modifier ce texte de loi. »

« Avec cet amendement, on pourra m’accuser, en ma qualité de femme politique, d’atteinte à l’unité nationale si j’émets une critique contre le pouvoir. On risque de me poursuivre si je dis, par exemple, qu’Abdelmadjid Tebboune manque de légitimité populaire et politique. Mais aucune loi ne peut venir contraindre les droits et les libertés qui sont consacrés par la Constitution. Vous ne pouvez pas d’un côté avoir une Constitution qui reconnaît la liberté d’opinion, la liberté de conscience et la liberté d’expression, et de l’autre avoir des lois qui bafouent ces droits », note Zoubida Assoul.

Musèlement des médias

Selon la présidente de l’UCP, des signes laissent présager le pire : « Le pouvoir inaugure une nouvelle ère de répression et d’atteinte à tous les droits. » Me Zoubida Assoul estime que le « pouvoir profite de la pandémie et du confinement de la population pour se débarrasser de toute voix discordante à travers cet amendement du Code pénal et le musèlement des médias ».

Un avis que partage Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH) qui fait état d’une volonté délibérée du pouvoir de faire entrer le pays dans « une phase de durcissement du contrôle de toute la société ».

« Nous sommes face à des actions multiples. Il y a la série de convocations et d’arrestations de hirakistes, les nouvelles dispositions du Code pénal, qui faciliteront les arrestations et les poursuites, ainsi que le musèlement des médias et des journalistes, le contrôle des réseaux sociaux et les campagnes d’intimidation. Le pouvoir est en train de poser des verrous sur les libertés, bien sûr c’est avant tout le Hirak qui est visé puisque tout ceci se déroule durant la trêve du coronavirus décrétée par le mouvement citoyen », indique Saïd Salhi à Sputnik.

Optimisme

Le militant des droits de l’Homme reconnaît « l’impuissance » de son organisation dans le contexte actuel. « Nos activités sont réduites au minimum à cause du couvre-feu, sans compter cette pression exercée sur les médias et sur tous les espaces d’expression, notamment les réseaux sociaux qui deviennent dangereux », relève Saïd Salhi.

De son côté, Me Assoul se dit optimiste. Elle s’attend à une reprise du Hirak dès la fin de la pandémie. « Tout ce que fait actuellement le pouvoir exaspère la population. Sa démarche actuelle n’est pas du tout en rupture avec celle de l’ancien système. Les citoyens veulent une nouvelle pratique de la gouvernance, plus démocratique et transparente. Tout porte à croire que le peuple, une fois le confinement terminé, sortira avec force dans la rue. »

Par Tarek Hafid le 25/04/2020

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