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Algérie : Les violences sexuelles pour dissuader les manifestantes doivent cesser

Paris – Alger, le 17 avril 2019. Les manifestations qui secouent l’Algérie pour la huitième semaine consécutive ont été réprimées avec une ampleur inégalée les 12 et 13 avril 2019. Outre le passage à tabac de militant.e.s pacifistes, des militantes ont dû se déshabiller et subir des attouchements sexuels dans un commissariat du centre d’Alger. Nos organisations appellent les autorités algériennes à mettre fin à ces pratiques illégales et inacceptables, qui rappellent les funestes « tests de virginité » mis en place par les autorités égyptiennes en 2011 pour dissuader les manifestantes de la place Tahrir, et à en poursuivre les auteurs devant la justice.

Lors de la grande manifestation hebdomadaire du vendredi 12 avril, 180 personnes ont été interpellées selon la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Les vidéos qui circulent sur la toile témoignent de l’ampleur de sa répression, montrant notamment des policiers tabasser des personnes à même le sol. Selon des témoignages directs récoltés par nos organisations, un jeune tabassé se trouverait toujours en soins intensifs à l’hôpital de Mustapha Bacha d’Alger. Il aurait subi des coups au niveau de la tête, ce qui aurait provoqué une hémorragie interne.

Le samedi 13 avril, plusieurs activistes des droits humains ont été interpellés violemment alors qu’ils se rendaient vers 17H à un nouveau rassemblement de contestation devant la Grande poste à Alger.

Quatre jeunes militantes, deux du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) et deux du Mouvement Démocratique et Social (MDS), ont alors été interpellées et transférées au commissariat de Baraki dans le centre ville d’Alger. D’après le témoignage de la militante Amel recueilli par la FIDH « Les policiers nous ont fait entrer dans une pièce, l’une après l’autre. Quand je suis entrée, j’ai trouvé une femme en civil qui m’a demandé de me déshabiller. J’ai refusé et je lui ai demandé sa carte professionnelle. Elle m’a répondu : laissez-moi faire mon travail. Et quand j’ai résisté, elle m’a menacé en disant que cela compliquerait les choses. J’ai du me déshabiller entièrement. Elle a touché ma poitrine et m’a demandé d’écarter les jambes pour procéder à la fouille. »

Arrêté en même temps que les jeunes femmes, le militant du RAJ Djalal Mokrani a été passé à tabac par six policiers au moment de son interpellation. Estimant avoir été ciblé pour son militantisme, il relate avoir reçu des coups de poing et de pieds.

Après avoir subi ces violences, tou-tes ont été relâché-es vers une heure du matin. Après leur libération, les jeunes femmes ont témoigné des violences qu’elles avaient subies.

Ces violences sexuelles subies par les quatre militantes sont extrêmement graves. Elles visent à dissuader les femmes à toute velléité de participation à la vie publique et à les écarter du processus de transition politique. Elles rappellent notamment les funestes « tests de virginité » imposés par les médecins de l’armée égyptienne dans les commissariats du Caire en 2011 pour dissuader les manifestantes de la place Tahrir, et documentés à l’époque par la FIDH (2).

Que les autorités s’en prennent au corps de femmes qui s’emparent de l’espace public, dans le cas égyptien comme aujourd’hui dans le cas algérien, relève d’une volonté d’humiliation, fait planer la menace du viol, et vise à les dissuader définitivement de participer au mouvement algérien actuel, sans précédent depuis les années 80 (3).

Jamais les femmes n’avaient été autant présentes dans les rues de toutes les villes du pays pour manifester, notamment lors de la journée de mobilisation du 8 mars. Des icônes de la lutte d’indépendance algérienne, telles que Djamila Bouhired (4), se sont jointes aux manifestations, démontrant un engagement intergénérationnel et inscrivant ce mouvement dans la continuité d’une lutte historique du peuple algérien pour ses droits, pour l’égalité et la dignité.

Le lien entre cette violence et la discrimination structurelle contre les femmes inscrite dans le droit et dans la pratique en Algérie ne peut être ignoré.

Nos organisations condamnent fermement ces actes de violence, qui portent atteinte à l’intégrité physique et psychologique des manifestant-e-s, et contreviennent à la liberté de manifestation et de rassemblement.

Elles appellent à

  • la dénonciation publique de ces violences par l’ensemble des leaders politiques actuellement au pouvoir
  • la condamnation de ces actes qui constituent des abus de pouvoir commis par des policiers qui violent le code pénal algérien et ne respectent pas les engagements régionaux et internationaux de l’Algérie en matière de droits civils et politiques, mais également en matière de lutte contre les violences sexuelles.
  • la traduction en justice des responsables de ces violences proportionnellement à la gravité des actes commis.

(1) La nudité forcée, notamment en situation de détention, est définie comme une forme de violence sexuelle par les Lignes Directrices contre les violences sexuelles en Afrique de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP).
(2) Lire le rapport de la FIDH et de 3 organisations égyptiennes (Nazra For Feminist studies ; New women Foundation ; Uprising of women in the arab world) : https://www.fidh.org/IMG/pdf/egypt_women_final_english.pdf
(3) Les mots d’ordre « selmiya » (pacifique) et « hadaria » (civique, poli), n’ont cessé d’être chantés, démontrant la volonté des manifestant-es d’éviter tout débordement qui aurait pu justifier, selon les autorités, un recours à la force. Ce mouvement, jeune et sans leader identifié-e, exprime une colère et une frustration contenues depuis très longtemps.
(4) https://www.franceculture.fr/histoire/djamila-bouhired-licone-des-revoltes-algeriennes

Fédération internationale pour les droits humains
Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme
Collectif pour les Familles des Disparus
Rassemblement Action Jeunesse