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Disparitions forcées en Algérie : un crime contre l’humanité

Les disparitions forcées en Algérie est un crime contre l’humanité. C’est de cette manière que les intervenants au séminaire, organisé samedi 5 mars à Alger par SOS Disparus, ont qualifié les disparitions forcées en Algérie. Le séminaire a été ouvert par Mme. Nacera Dutour, responsable de l’organisation SOS Disparus et mère de Amine, un jeune enlevé à l’age de 19 ans.

Devant des familles de disparus, de militants associatifs et des avocats, Nacera Dutour a présenté le rapport réalisé par son organisation, "Les disparitions forcées en Algérie : un crime contre l’humanité". Un rapport sur les disparitions forcées qui ont eu lieu en Algérie de 1990 à 2000 et des témoignages de familles de disparus.

C’est un rapport qui démontre, à base de témoignages de familles de disparus, enlevés par les agents de l’Etat ou par les groupes terroristes, que les disparitions forcées durant la décennie noire réunissent les critères conduisant à la qualification de crime contre l’humanité. Le document raconte aussi les conséquences des disparitions sur les familles : la douleur, la destruction de familles et la peur.

"La disparition forcée a déclenché dans toutes les familles des conséquences désastreuses. Ces conséquences relèvent tant de l’ordre économique que de l’ordre psychologique.
Logiquement, les femmes qui ont subi la disparition d’un mari, d’un père, d’un frère ou d’un fils se retrouvent dans une grande précarité. Elles sont devenues vulnérables dès l’évènement malheureux et elles le sont encore plus au fil du temps."

Selon l’intervenante, le rapport sera envoyé au groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées et aux autorités algériennes.
Madjid Benchikh, professeur émérite du droit international, a estimé dans son intervention que la disparition forcée est un "carrefour de violations de droits et un ensemble de violation de droits de l’Homme".

Des violations qui touchent la victime de l’enlèvement, sa famille et toute la société. L’ancien doyen de la faculté d’Alger et ancien président de la section algérienne d’Amnesty International a expliqué que pour qualifier une violation des droits de l’Homme de crime contre l’humanité, il faut que le degré de gravité de cette violation soit très élevé, ce qui est le cas des disparitions forcées selon M. Benchikh.

"Pour qu’une violation soit considérée comme crime contre l’humanité, il faut que ce crime de disparition forcée soit constitué de violations généralisées. Pour le nombre de personnes, il n’y a pas de chiffres, ça peut être 30 ou 50 ou comme en Algérie des milliers de personnes. Cette condition seule, si elle est remplie, suffit. Il faut aussi que ce soit des disparitions forcées systématiques. Pendant les années 90, l’Etat enlève de manière systématique, le GIA enlève de manière systématique", explique M. Benchikh.

Me. Mustapha Bouchachi, dans son intervention, a qualifié la Charte pour la paix et la Réconciliation nationale de "fuite vers l’avant" de la part des autorités et d’un texte qui n’a rien à avoir avec la justice transitionnelle.

"La charte pour la paix et la réconciliation nationale n’a rien à avoir avec la recherche de vérité et de juger les généraux et les politiciens responsables de ces disparitions. Pire encore, les familles de disparus n’étaient pas associés à la rédaction de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et les autorités ne reconnaissent pas les associations des familles de disparus", déplore Me. Bouchachi. "Et en plus de cela, toute individu ou association qui parle de la décennie noire risque jusqu’à 3 ans de prison ferme".

Revenant sur la nouvelle constitution qui a consacré la réconciliation nationale, Madjid Benchikh a estimé que "Les constitutions en Algérie sont des réponses que fait une partie du système à une autre partie du système. Jamais les constitutions en Algérie n’ont réglées les problèmes de l’Algérie".

Les séminaristes ont écouté aussi des témoignages émouvants de mères, de soeurs et de femmes de disparus, venues parler du combat qu’elles mènent pour chercher "vérité et justice" quant au sort de leurs proches et les obstacles et le harcèlement qu’elles subissent afin de baisser les bras et nier les disparitions pour clore ce dossier.

A rappeler que des milliers de familles sont touchées par les disparitions forcées durant la décennie noire en Algérie. Le CNCPPDH, qui est un organisme gouvernemental de droits de l’Homme, parle de 6.200 cas de disparus et d’autres sources parlent d’environ 10.000 cas d’enlèvement.

Madjid Serrah
Blogueur et militant associatif
mars 2016