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Droits de l’homme et justice par Noureddine Benissad. Président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH)

Il y a une régression, ces vingt dernières années en matière de droits de l’homme. Nous n’avons pas cessé d’alerter les autorités sur la fermeture des canaux d’expression pacifique. Bouteflika, symbole du système autoritaire, avait promis dès son arrivée, en 1999, des réformes profondes de l’Etat, l’école et la justice.

Tous les rapports sur ces secteurs qui lui été remis ont été mis dans les tiroirs. Sous prétexte de l’état d’urgence instauré et maintenu durant 19 ans, Bouteflika a renforcé le système autoritaire en réprimant les libertés. Il a annoncé, rappelez-vous, lors de son discours de Sétif en 2011, la levée de l’état d’urgence et des réformes politiques. En fait, l’état d’urgence, synonyme de la négation même de l’exercice des libertés et de l’Etat de droit, a été maintenu dans la pratique.

Et les « réformes politiques » – consistant en la révision des lois sur les associations, l’information, le régime électoral, les partis politiques et la représentation des femmes dans les assemblées élues – n’étaient que des lois liberticides durcissant et entravant les libertés de s’organiser, de se réunir et de s’exprimer. Nous avons assisté au harcèlement, à l’intimidation, aux poursuites judiciaires et à l’emprisonnement des défenseurs des droits de l’homme, de blogueurs, de lanceurs d’alerte, de journalistes juste pour avoir donné une opinion ou dénoncé des cas de corruption.

Le classement de notre pays dans plusieurs domaines est très significatif : il est parmi les premiers en matière de surfacturation, parmi les derniers en matière de liberté d’expression, de corruption, etc. plus de 40 000 associations sur les 80 000 existantes ont disparu du fait de la loi scélérate sur les associations de 2012. Les agréments des associations des droits de l’homme comme la LADDH, obtenus à la faveur de la Constitution de 1989, ont été retirés par le ministre de l’Intérieur.

Répression

Le système a réprimé les libertés sans discernement. Il ne faut pas se faire d’illusion car il est impossible de parler des droits de l’homme dans un système autoritaire, car ce dernier est antinomique avec un Etat de droit respectueux des libertés individuelles et collectives.

On était et on est toujours dans une situation de résistance. Nous avons travaillé dans un climat de terreur et de répression. Seule la démocratie peut amener vers un Etat de droit, vers le respect des droits de l’homme, vers la séparation et l’équilibre des pouvoirs et l’alternance au pouvoir.

La démocratie peut amener aussi à plus de justice sociale et à une redistribution équitable de la richesse nationale. Le système symbolisé par Bouteflika a fortifié la répression et a permis l’émergence d’une oligarchie arrogante et d’une kleptocratie des politiques publiques contre les droits de l’homme et contre la dignité des Algériennes et des Algériens.

L’Algérie, qui a porté un des symboles forts des droits de l’homme pour acquérir son indépendance, à savoir, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, aurait pu être, dans le monde, à l’avant-garde des pays respectant les droits de leur propre peuple. Aujourd’hui, on ne peut pas concevoir l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique ou des puissances de l’argent dans un système a-démocratique.

Mainmise

Les juges ont longtemps été terrorisés par le pouvoir exécutif à travers les lois organiques sur le statut du magistrat et le Conseil supérieur de la magistrature. Le pouvoir exécutif, représenté par le ministre de la Justice, a la mainmise sur le recrutement des juges, leurs carrières, leurs affectations et leur radiation ; il en est de même pour les questions disciplinaires.

Il faut casser le plafond de verre et aller vers la refonte totale des lois en consacrant une indépendance effective du pouvoir judiciaire par l’inamovibilité du juge, une composition du Conseil supérieur de la magistrature uniquement de juges élus et en coupant le cordon ombilical entre le ministre de la Justice et le parquet en consacrant l’indépendance de ce dernier vis-à-vis du ministre de la Justice. Plus d’instructions du ministre de la Justice au parquet ! Ce dernier doit devenir un juge indépendant tout autant que le juge du siège. Une politique criminelle qui soit plus respectueuse des libertés fondamentales.

Les juges, dans le sillage du mouvement populaire, commencent à réclamer l’effectivité de l’indépendance de la justice et à s’organiser pour défendre ce principe à travers le clubs de magistrats. Et surtout ils s’expriment, ce qui est une excellente chose qu’il faut saluer et soutenir.

Ceci étant, seule une Constitution consacrant la démocratie, la séparation et l’équilibre effectifs des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi que les libertés peut permettre à notre pays d’aller vers une société de progrès. Car l’ignorance ou le mépris des droits de l’homme sont les sources des malheurs des peuples et de la corruption de leurs gouvernants.

Elwatan du 05-04-2019