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En Algérie, la colère après la condamnation du journaliste Khaled Drareni

Le régime algérien profite du Covid-19 pour durcir la répression contre des figures du Hirak, le mouvement de contestation du pouvoir.

Par Karim Amrouche dans Le Monde

« RIP, justice de mon pays ! J’aurais souhaité te savoir morte [plutôt] que de te voir aussi veule, lâche, indigne… » Le cri du journaliste et écrivain Mustapha Benfodil faisait écho, lundi 10 août, à la colère qui s’est exprimée sur les réseaux sociaux en Algérie, à l’annonce, le même jour, de la condamnation du journaliste Khaled Drareni à trois ans de prison de ferme.

Les avocats de ce dernier ne se faisaient guère d’illusion sur la possibilité d’un acquittement. Mais ils ont été sidérés par la dureté du verdict. Evoquant un « dossier vide », ils ont dénoncé un « acharnement particulier » contre le journaliste, lié à sa couverture du Hirak, le mouvement de contestation du pouvoir, à l’origine d’importantes manifestations en Algérie, depuis février 2019.

Selon des proches, Khaled Drareni avait été convoqué à au moins trois reprises par la direction de la sécurité intérieure, on lui avait alors ordonné de cesser de couvrir les protestations. En vain. Le journaliste, âgé de 40 ans, dirige le site Casbah Tribune, anime le « Café presse politique », une émission très suivie sur Radio-M, diffusée sur Internet, et collabore avec la chaîne française TV5. Il est également le correspondant de Reporters sans frontières et, à ce titre, s’est montré très actif dans la défense des journalistes.

« Agent » de l’étranger

Arrêté le 7 mars 2020, alors qu’il couvrait une manifestation, Khaled Drareni était poursuivi, avec les militants Samir Belarbi et Slimane Hamitouche ( ce dernier luttant pour la cause des disparus de la « décennie noire » ; années 1990) pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l’intégrité du territoire national ». Des chefs d’accusation qui reviennent dans pratiquement toutes les poursuites engagées contre les figures du Hirak qui ont repris leur activisme avec une forte cadence après l’arrêt des manifestations à la mi-mars, en raison du Covid-19.

Pour l’avocate Zoubida Assoul, le verdict est « la traduction de la déclaration du chef de l’Etat »

Placé initialement sous contrôle judiciaire, Khaled Drareni a été incarcéré le 28 mars. Le 2 juillet, Slimane Hamitouche et Samir Belarbi bénéficiaient d’une remise en liberté provisoire. Condamnés le 10 août à deux ans de prison dont quatre mois ferme, mais ayant déjà accompli leur peine, ils restent libres. Pour les mêmes chefs d’accusation, Khaled Drareni est condamné, lui, à trois ans d’emprisonnement ferme. « C’est bien le journaliste qui est visé », déclarent ses confrères.

Dénigrement

Khaled Drareni avait fait l’objet d’une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux le présentant comme un « agent » de l’étranger, et de la France en particulier. Ecœuré, son père, Sid Ahmed Drareni, un ancien combattant de la guerre d’indépendance, a publié une lettre ouverte au président, Abdelmadjid Tebboune, dénonçant le fait que l’injustice subie par Khaled « s’accompagne d’une campagne odieuse pour mettre en doute son patriotisme ».

Une missive qui n’a pas empêché, quelques semaines plus tard, le chef de l’Etat algérien d’accuser, sans le nommer directement, Khaled Drareni de « quasi-intelligence avec des parties étrangères ». Pour l’avocate Zoubida Assoul, ancienne magistrate, le verdict rendu lundi est « la traduction de la déclaration du chef de l’Etat ». « On l’a senti dans le réquisitoire et les questions de la présidente, a-t-il ajouté. C’est une condamnation politique et une décision politique. » Une pétition signée par de nombreux journalistes, militants et citoyens dénonce le « traitement spécial » réservé au journaliste.

Depuis l’arrêt des manifestations à la mi-mars, le pouvoir algérien a durci la répression contre les militants du Hirak. Son projet de révision de la Constitution ne suscite pas l’enthousiasme, l’opposition estimant qu’il ne change rien à la nature du régime dans un contexte économique et social qui s’alourdit. Le pouvoir en est réduit à multiplier « les mesures populistes et la répression », écrit Hosni Kitouni, chercheur en histoire, sur sa page Facebook, avec un risque que cela débouche sur « des formes de radicalisation totalement incontrôlables ».