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Hadj Smaïn, la glorieuse ALN et le Big Deal : par Salima Ghezali

L’arrestation du militant des droits de l’homme, Hadj Smail, à quelques encablures de la célébration du cinquantenaire de l’Indépendance nationale, nécessite quelques rappels.

La galette de l’infortunée

D’abord, c’est faire preuve d’une incroyable légèreté à l’égard de ce peuple, de son histoire et de sa culture que de s’imaginer qu’un évènement aussi essentiel que le cinquantième anniversaire de l’indépendance nationale puisse être contenu dans l’étroite « société du spectacle » des célébrations officielles. Que l’on importe à coup de devises le savoir-faire d’un Caracalla et d’autres « virtuoses de l’art » pour qu’ils nous « fabriquent » une esthétique à la mesure de notre histoire, de ses peines, de ses déchirements, de sa grandeur, de ses faiblesses, de ses chants d’amour et des cris de tendresse blessée qui ont jailli de la terre, du ciel, des poitrines des hommes et des gorges des femmes…C’est se moquer du monde.

Même nos maladresses et nos insuffisances, soigneusement entretenues, par les gardiens du temple de l’incompétence et de l’exclusion, sont, à tout prendre, une meilleure offrande, à ceux qui sont morts pour que vive l’Algérie comme à ceux qui continuent à naître et à mourir par et pour elle, que tout ce que l’on pourrait acheter en s’empêchant de le produire. La galette de l’infortunée a toujours été bonne pour ses enfants dit l’adage du terroir.

En termes de culture, n’importe quel geste authentique d’un groupe humain, pourvu qu’il soit à la fois lucide et sincère, parle mieux des êtres qu’il désigne que tous les musés délocalisés du monde.

En filiation de la glorieuse ALN…

Ensuite, il ya les sorties de promotion des différentes académies et écoles militaires qui sont venues, à l’occasion de ce cinquantenaire, réaffirmer quelques vérités qui appellent à leur tour des précisions.

Vu à partir d’un écran de télévision à l’occasion d’un journal télévisé suivi d’un « sujet » spécial « sorties de promotions », le message d’ordre et de discipline délivré par les défilés et revues militaires, les manœuvres et les simulations de combats ont réjoui les amateurs et quelque peu fait contrepoids au constant (et sournois) martellement télévisuel d’armées arabes en déroute ou bombardant leurs propres territoires. Tandis que sont hissés au rang de héros des peuples, des groupes méconnaissables, qui ne sont ni tout à fait des civils ni tout à fait des militaires, dont l’identité (et le programme ?) se confond avec (ou se réduit à ?) l’origine et la portée des armes qu’ils exhibent. L’ALN, organisation militaire issue d’une organisation politique elle-même issue d’un peuple mobilisé pour sa libération a laissé en patrimoine la notion d’organisation : mounadhama, sur laquelle tout se devait d’être bâti. A commencer par l’Etat de Droit. Pour peu qu’on en ait saisi le sens.

Donc, au milieu de cette tempête militaro-médiatique que nous infligent les télés de la planète entière, le spectacle d’une armée disciplinée en ses écoles et casernes, prête à défendre le pays, sa sécurité et sa souveraineté, n’est pas forcément pour déplaire au public le plus large.

On notera que les discours prononcés à cette occasion ont tous réservé une strophe à l’importance du savoir, des sciences et des nouvelles technologies. Rien à redire.

Mais quand est évoquée la filiation de l’ANP avec l’ALN on a envie de préciser que toute l’Algérie contemporaine est fille de l’ALN : le territoire en ses frontières, le patrimoine en sa diversité, les richesses en leur propriété originelle, le savoir en sa capacité à se constituer, les générations en leur succession…

Et l’ALN, elle-même est fille des hommes et des femmes de ce peuple : Les militants politiques et associatifs au long cours, les lettrés, les analphabètes, les religieux, les agnostiques, les fellahs, les bourgeois, les bandits d’honneur et les déserteurs de l’armée coloniale, les ouvriers, les clercs et les notables autant que les hordes de déshérités pour lesquels Germaine Tillon parlait de « population clochardisée par la colonisation ».

Le Grand Deal

Alors, à chaque fois qu’une institution de l’Etat, ou un groupe au pouvoir essaie de se retirer du service du pays pour se mettre au service d’une partie contre une autre, le peuple est en droit de retirer la couverture de la filiation ALN à tous ceux qui voudraient en privatiser l’usage. C’est cela l’article 1 de la constitution non écrite qui lie les morts et les vivants par delà les générations.

Il n’ya pas d’acte notarié pour ce type de contrat moral. Qui ne peut être contenu dans les limites d’une institution ou du programme d’un parti politique, aussi prestigieux soient-ils, ni dans la pensée stratégique d’un homme seul, aussi génial fut-il. Ce type de contrat réside dans l’humus originel meurtri par la souillure coloniale et dont le soulèvement tellurique n’admettra jamais qu’une caste privilégiée ou un groupe- de quelque obédience- remette impunément cette terre et ce peuple sous le joug. Autochtone ou Etranger.

Hadj Smain ne s’est opposé à aucune institution à la fois légale et légitime agissant dans le cadre de la loi, il a dénoncé des crimes que tous les textes de ce pays réprouvent. Les poursuites à son encontre relèvent du harcèlement et de la hogra la plus brutale. Si véritable réconciliation il doit y avoir un jour, elle doit commencer, dans le respect du droit et de l’éthique politique, par la garantie des droits et libertés individuelles et politiques ainsi que l’intégrité physique et morale des algériens. Dont Hadj Smain.

in la Nation du 26-06-2012