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Khaled Drareni, l’honneur de la presse algérienne ! Par Arezki aït-larbi*

Ils ont osé ! Trois années de prison ferme pour Khaled Drareni, dont l’unique “délit” consommé et prouvé lors du procès se résume à l’exercice loyal de son métier de journaliste. Car, au-delà du cafouillage qui a pollué sa garde-à-vue et des rumeurs qui l’ont entourée, l’interrogatoire du tribunal auquel il a répondu avec une remarquable dignité a porté essentiellement sur ses couvertures des manifestations populaires et des réunions de l’opposition légale.

Ils ont osé ! Trois années de prison ferme pour Khaled Drareni, dont l’unique “délit” consommé et prouvé lors du procès se résume à l’exercice loyal de son métier de journaliste. Car, au-delà du cafouillage qui a pollué sa garde-à-vue et des rumeurs qui l’ont entourée, l’interrogatoire du tribunal auquel il a répondu avec une remarquable dignité a porté essentiellement sur ses couvertures des manifestations populaires et des réunions de l’opposition légale.

Où sont donc les preuves pour confondre le redoutable “espion”, le dangereux “khbardji” pour reprendre la charge malheureuse du chef de l’État ? En mettant en jeu la dignité de sa fonction avec autant de légèreté, en violant le secret de l’instruction d’une affaire en cours, le premier magistrat du pays avait scellé, ce jour-là, le sort du journaliste ! Et c’est donc sans surprise que la terrible sentence est tombée. Sans relation avec les faits. Sans retenue. Sans pudeur. Une lettre de cachet…
Plus qu’un verdict de justice, c’est une exécution sommaire. Un avertissement à tous ceux qui seraient tentés de ne pas mettre leur plume au service de la “nouvelle république” qui peine à convaincre de lendemains qui chantent, tant elle se présente déjà comme un clone décomposé du régime que les Algériens ont condamné sans appel.

La face cachée d’une presse-alibi

Par ces temps de reddition des consciences et de corruption généralisée, Khaled Drareni a sauvé l’honneur résiduel d’une profession qui rêvait de jouer au quatrième pouvoir, avant de s’abîmer dans le rôle peu glorieux d’alibi démocratique que l’on exhibe comme un hochet. Comme ces 160 journaux que nous envieraient, semble-t-il, les pays les plus libéraux ! Le P-DG de l’Anep, fraîchement nommé, vient pourtant d’ouvrir la boîte de Pandore pour confirmer que cette “performance” n’est, en fin de compte, qu’un “cluster” de corruption et de détournement de fonds publics visant à fidéliser des clientèles et à domestiquer d’éventuelles contestations. Souvent prête-noms de politiques sans troupes mais “souteneurs” officiels depuis des décennies, ces journaux sans lecteurs, au tirage confidentiel, ont engrangé 15 000 milliards d’indus dividendes, déguisés en prestations publicitaires.
Dans ce marécage où s’engraissent les gros reptiles à l’ombre de protections occultes, Khaled Drareni fait figure de boy-scout. À défaut de preuves pour confondre “l’espion”, des voix autorisées tentent maintenant de justifier son emprisonnement par ce statut, bien précaire, de correspondant de médias étrangers sans accréditation.

Faut-il rappeler ici que, dans tous les pays où la presse est libre, la justice indépendante et les droits respectés, l’accréditation est une formalité qui facilite les relations du journaliste avec les autorités, notamment l’accès aux sources institutionnelles et aux activités officielles. Elle ne saurait servir d’autorisation que l’on délivre au gré des allégeances claniques et de la flexibilité des échines, ni de moyen de pression que l’on retire aux récalcitrants qui tentent de faire loyalement leur métier.

Dans le cas présent, aucune loi écrite n’a prévu de sanction pénale contre les “contrevenants” auxquels ce sésame a été refusé sans motif légal.

C’est un secret de Polichinelle : derrière la vitrine officielle du ministère de la Communication, c’est un colonel de la police politique qui tire les ficelles dans l’ombre. Au-delà des changements de personne, c’est l’officier de Ben Aknoun qui a toujours défini les lignes éditoriales, distribué les placards publicitaires, sélectionné les correspondants de la presse étrangère accrédités et poussé les récalcitrants vers la marge à défaut de les réduire au silence. Ce fonctionnement occulte, qui viole les lois de la République, a été révélé par un baron du régime que l’on ne peut suspecter de velléités d’opposition.

Sur le plateau d’une de ces télévisions offshore qui défient quotidiennement le droit et la morale, Mahieddine Amimour, inamovible apparatchik depuis l’époque de Houari Boumediene, déclarait il y a quelque temps : “Quand j’étais ministre de la Communication, je n’avais aucun pouvoir. J’étais juste la vitrine civile du colonel des moukhabarates qui dirigeait la presse !” Et de raconter comment, sur ordre de l’officier, il avait désigné un journaliste réputé fort en gueule, pour attaquer des personnalités de l’opposition sur la chaîne qatarie El-Djazira ! Dans la posture de la victime civile soumise aux injonctions du tout-puissant militaire, Mahieddine Amimour a tenté ainsi d’occulter sa responsabilité complice dans la perversion des institutions. Évidemment, l’idée de démissionner pour ne pas cautionner cette forfaiture ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Car, lorsque l’on a le ventre gros, l’on peut se dispenser d’avoir une conscience. Pour un Khaled Drareni qui a osé dire “non !” au nom de son éthique personnelle et de la dignité de sa profession, combien de journalistes ont vendu leur âme pour camper ce rôle peu glorieux d’“informateur” de la police politique ? Combien de correspondants de médias étrangers camouflés derrière la cagoule d’un pseudonyme jouent les amplificateurs des manipulations officielles, au nom d’un “patriotisme” de basse-cour exhibé comme une ceinture de chasteté de ces dérives déontologiques ?

Khaled Drareni a gagné la partie

La profession de journaliste est aujourd’hui face à ses démons. Malgré de larges exceptions qui confirment la règle, notamment parmi les jeunes générations, la corporation doit regarder ces errements dans le blanc des yeux et nettoyer les écuries d’Augias pour s’émanciper de l’image dégradante de supplétif qui a précipité sa déchéance dans l’opinion. Car le mythe du “journaliste, chevalier de la plume” a vécu, et les confrères assassinés dans les années 90 ne peuvent plus servir de bouclier éthique, qui dispenserait de toute remise en cause.

Il est grand temps de s’interroger sur le rôle du journaliste, notamment depuis la révolution pacifique du 22 février qui a révélé le dessous des cartes biseautées. C’est au prix d’une douloureuse, mais salutaire, introspection, individuelle et collective, que les journalistes pourront accéder enfin à ce statut tant envié de témoins de leur temps, qui n’hésitent pas à mettre “la plume dans la plaie”, même au péril de leur vie.

Pour Khaled Drareni, la cause est entendue. Il rejoindra cette sinistre cellule de la prison de Koléa qui sera, pour quelque temps encore, sa résidence d’assignation. Malgré l’arbitraire qui l’a frappé pour l’exemple, et qui a, par ricochet, touché sa famille et ses proches, il est devenu un exemple de courage, de dignité et d’indépendance pour tous les journalistes qui tentent, malgré tout, d’exercer leur métier comme un sacerdoce. Contre les manipulateurs de l’ombre qui ont ordonné son emprisonnement, contre les magistrats qui ont prononcé la terrible sentence, Khaled Drareni a déjà gagné la partie. Car, si le prisonnier peut tromper les miradors du pénitencier pour s’évader par la pensée, comme seul peut le faire un esprit libre, ses bourreaux auront du mal à se libérer d’une conscience torturée, lorsque sonnera l’heure de la déchéance…

* - Arezki aït-larbi est journaliste free lance
le 12-08-2020