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L’arrestation du militant des droits humains Hadj Smaïn rouvre le dossier des disparus

Le militant des droits de l’homme Mohamed Smaïn a été arrêté ce mardi matin à son domicile à Relizane pour être placé sous mandat de dépôt. Il attendait une expertise médicale. L’ancien vice-président de la LADDH, 69 ans, est poursuivi par une décision judiciaire définitive de deux mois de prison ferme pour « diffamation ». Une plainte portée en 2002 par la milice locale de Relizane, accusée par les familles d’avoir fait disparaître plusieurs dizaines de citoyens entre 1993 et 1997.

Mohamed Smaïn, connu à Relizane sous le nom de « Hadj Smaïn », figure nationale de la lutte pour la vérité sur les disparitions forcées en Algérie durant les années 1990, est allé en prison ce mardi. Le procureur général adjoint de Relizane, M. Derragui, a fait exécuter un mandat d’arrêt émis à son encontre consécutivement à la décision de la Cour suprême à la fin de l’année dernière de confirmer la peine de deux mois de prison pour « diffamation » prononcée contre lui en 2002 par la Cour de Relizane.

Des policiers se sont présentés ce matin au domicile de la famille Smaïn et ont procédé à l’arrestation du militant des droits de l’homme. Ses avocats avaient présenté une demande d’expertise médicale au procureur. Hadj Smaïn, 69 ans, qui a subi un triple pontage coronarien en 2006, soigne depuis un an un cancer de la prostate. Le procureur de la République a affirmé avoir envoyé des convocations à Hadj Smaïn, ce qu’a nié avec force le détenu, selon un de ses fils qui l’a accompagné à la présentation.

Un marathon judicaire qui dure depuis 2002

L’affaire qui vient de conduire en détention l’ancien vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a été jugée en 2002 en première instance puis en appel. Elle avait produit une sentence de 2 mois de prison ferme et d’une amende à l’encontre de Mohamed Smaïn, accusé d’avoir diffamé Mohamed Ferguène, ancien maire de Relizane et, surtout, ancien chef de la milice de la wilaya, réputée pour avoir fait disparaître par dizaines des citoyens de la région entre 1993 et 1997.

Les deux procès au tribunal de Relizane puis à la Cour d’appel avaient mis face à face, en présence d’ONG internationales, les familles des disparus et les anciens miliciens de la wilaya. Les audiences avaient livré des témoignages directs et sans ambigüité sur le rôle direct de la milice et de son chef dans l’enlèvement de plusieurs citoyens de Relizane, Jdiouia, H’madena et Sidi Mohamed Benaouda. La sentence de deux mois de prison pour diffamation pour des articles parus dans la presse régionale avait été interprétée par la LADDH et les organisations de familles de disparus comme une volonté de maintenir une pression judiciaire sur un animateur important du mouvement pour la vérité sur les disparitions forcées.

Une arrestation en suspens depuis plusieurs mois

La décision prise fin 2011 par la Cour suprême de confirmer les deux mois de prison ferme à l’encontre de Mohamed Smaïn l’exposait à une arrestation depuis plusieurs mois. Le militant des droits de l’homme avait pu, cependant, continuer à se rendre chez son fils à l’étranger, notamment pour des avis médicaux. Il avait décidé d’introduire une demande de grâce médicale consécutive à l’expertise requise mais il semble que la Cour de Relizane n’ait pas fait suivre au ministère de la Justice la requête prévue par la loi dans le cas des petites peines de prison.

La menace d’arrestation de Mohamed Smaïn avait suscité une campagne internationale de soutien des différentes ONG et conduit, pour la première fois, à l’interpellation officielle de l’Algérie par la Commission africaine des droits de l’homme sur le sort fait à un militant des droits de l’homme. Me Mustapha Bouchachi, encore président de la LADDH, avait exprimé sa grande inquiétude après la décision de la Cour suprême mais pronostiquait que l’Etat ne franchirait pas le pas de mettre en détention Mohamed Smaïn avec le risque de s’exposer au monde à nouveau sur le dossier, toujours aussi sensible, des disparitions forcées. Le pas a été franchi en ce début d’été 2012.

Vers la relance, en France, du dossier des disparus algériens

Pour une source proche du dossier des disparitions en Algérie, Mohamed Smaïn pourrait faire directement les frais de la probable relance, avec l’arrivée des socialistes au pouvoir en France, de l’affaire des frères Abdelkader et Adda Mohamed, miliciens à J’diouia durant les années 1990.

En effet, le gouvernement précédent de droite avait accepté, par le biais de son ministère public, de temporiser dans une procédure judiciaire près du tribunal de Nîmes dans le sud de la France qui avait débouché, en 2004, sur la mise sous contrôle judiciaire des frères Abdelkader et Adda Mohamed, refugiés en France et confondus par plusieurs témoins parmi les proches des disparus. Les services de sécurité algériens avaient reproché plus d’une fois à Mohamed Smaïn d’être l’artisan de la venue en France de plusieurs de ces témoins de la wilaya de Relizane.

A quand la vérité sur les disparitions des années 1990 ?

L’affaire de Nîmes avait provoqué un premier refroidissement entre Alger et Paris avant même l’interpellation, en août 2008, de Mohamed Ziane Hassani, diplomate algérien, confondu avec un homonyme impliqué dans l’assassinat d’Ali Mecili en 1987 à Paris. « Les éléments pour organiser un procès des frères Mohamed sont réunis. C’est un blocage politique qui a fait que cela ne s’est pas produit depuis 2004. Mme Taubira, la nouvelle Garde des sceaux dans le gouvernement Ayrault, peut très bien faire reprendre son cours à la justice, à l’abri des pressions diplomatiques », estime cette source juridique.

Hadj Smaïn est l’auteur d’un livre-témoignage sur les crimes commis à Relizane dans les années 1990, publié en 2006 en France par les éditions Bouchène et étrangement aussitôt épuisé. Plus de 7.000 cas de disparitions forcées du fait des services de sécurité et des milices auxiliaires sont reconnus par le gouvernement algérien. Mourad Medelci, le ministre des Affaires étrangères, a affirmé, il y a quinze jours à Genève, devant la Commission onusienne des droits de l’homme, que le traitement du dossier allait avancer.

Samy Injar, Maghreb Emergent, 19 Juin 2012