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« La situation des droits de l’Homme en Algérie n’est pas reluisante » Maître Noureddine Benissad Président de la LADDH

* On a opté pour une gestion sécuritaire de la situation au lieu de privilégier le dialogue, la liberté d’expression et le consensus comme forme démocratique pour régler la crise politique.

* La question de l’indépendance de la justice est une demande nationale. Il faut rendre effectif son indépendance à travers la constitution notamment par la séparation et l’équilibre des pouvoirs

* Lorsque la personne n’est pas dangereuse et présente toutes les garanties qu’elle est à la disposition de la justice, je ne vois quel est l’intérêt de la mettre en détention

* Fermer les espaces d’expression est une grave faute politique

* Notre priorité est de contribuer à la libération des détenus d’opinion sans exception

Dans cet entretien exclusif accordé à notre magazine « La Majalla », le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), Noureddine Benissad, a dressé un tableau noir sur la situation des droits humainsen Algérie. L’avocat et défenseur des droits de l’homme, Noureddine Benissad, dénonce dans cet entretien,les pratiques du régime, qui a opté, dira-t-il, « pour une gestion sécuritaire de la situation au lieu de privilégier le dialogue, la liberté d’expression et le consensus comme forme démocratique pour régler la crise politique ». Et d’ajouter :« Fermer les espaces d’expression est une grave faute politique. En fermant les espaces d’expression pacifique, on pousse à des expressions violentes ».Face à cette situation peu reluisante notre interlocuteur plaide pour « cesser les arrestations et les poursuites pour toutes les personnes dont le seul tort est d’avoir exprimé une opinion ». Enfin MaîtreNoureddine Benissadévoque la nécessité de revoir la loisur les associations. « Ça va permettre aux personnes de s’associer librement dans divers domaines de manière à créer les conditions pour l’éclosion d’une société civile puissante à même de contribuer à la construction de l’état de droit » prône-il, et d’ajouter que « les causes de la crise que nous vivons aujourd’hui,c’est précisément le mépris affiché envers la dignité et les droits de la personne humaine » conclut-il.

De prime abord quelle lecture faites-vous de la situation des droits de l’Homme en Algérie ?

Maître Benissad : La situation des droits de l’Homme en Algérie n’est pas reluisante.On peut même dire qu’il y’a une régression depuis quelques années aussi bien pour les droits civils et politiques que pour les droits sociaux,économiques et culturels.Elle est étroitement liée au niveau de démocratisation.On remarque que beaucoup d’espaces de liberté, sont remis en cause, par des lois liberticides que par des pratiques qui ne sont pas conformes à la constitution, et aux conventions internationales relatives aux droits de l’Homme que ratifiées par notre pays.

Quel est votre bilan pour le 1er trimestre 2020, un trimestre qui est marqué, il faut le rappeler par, des restrictions des libertés, le harcèlement des activistes et les arrestations arbitraires ?

Maître Benissad : C’est au moment où l’on ne s’attendait le moins qu’on apporte encore des restrictions aux libertés déjà malmenées tant le hirak revendiquait l’instauration de plus de libertés et d’un état de droit.On a arrêté, poursuivi et emprisonné des algériens juste pour avoir exprimé une opinion. On a fermé tous les espaces d’expression plurielle et du débat contradictoire.On a opté pour une gestion sécuritaire de la situation au lieu de privilégier le dialogue,la liberté d’expression et le consensus comme forme démocratique pour régler la crise politique.

Qu’en pensez-vous de la question de l’indépendance de la justice et des magistrats qui a été largement soulevée et revendiquée comme une demande centrale par l’opinion nationale et le HIRAK ?

La question de l’indépendance de la justice est une demande nationale. Il faut rendre effectif son indépendance à travers la constitution notamment par la séparation et l’équilibre des pouvoirs.Il faut étendre cette indépendance au conseil constitutionnel dont le rôle serait de veiller au respect de la constitution.De profondes réformes pour donner plus de garanties statutaires à cette demande doivent être entamées.On ne peut les engager que s’il y a une réelle volonté politique.
Quelles sont les conditions d’une justice équitable ?

Le droit à un procès équitable est un droit fondamental. Il est une des garanties universelles consacrées par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les conditions d’un procès équitable sont celles du degré du respect de la dignité humaine dans une société. Le procès équitable commence par le respect des droits de la personne dès son arrestation, de la manière de son arrestation, lors de sa garde à vue dans les salles d’interrogatoire, dans les cellules de détention ou des prisons, devant les tribunaux.Si les droits de la défense, autrement dit les droits des justiciables ou des citoyens, ne sont pas respectés et qu’on arrive à des procès iniques, c’est le système judiciaire lui-même qui perd de sa crédibilité. Évidemment, si ceux qui concourent à ce processus ne sont pas formés au respect des droits de la personne, le résultat ne peut être que le ressentiment envers tout le système judiciaire.Il est donc du devoir de l’Etat de juger les auteurs d’infractions dans les normes internationales du procès équitable, car si celui est inéquitable, justice n’est rendue ni à l’accusé, ni à la victime, ni à la société en général.On devrait aussi réorienter notre politique pénale et ne plus réduire les indicateurs de performance de la justice à des indicateurs de rendement en termes de statistiques de résultats sur les affaires traitées. On a introduit dans la justice la culture des résultats, et cela nuit à la qualité et à l’équité de la justice.

Des avocats des associations de droits de l’homme militent, depuis plusieurs années, pour l’application des peines alternatives. Cependant, la justice continue de recourir de manière abusive à la détention provisoire…

Nous n’avons pas cessé de réclamer le recours aux peines alternatives contre l’emprisonnement. Le critère dela dangerosité de mis en cause doit primer pour décider de son incarcération. Lorsque la personne n’est pas dangereuse et présente toutes les garanties qu’elle est à la disposition de la justice,je ne vois quel est l’intérêt de la mettre en détention.On ne fait que remplir les prisons surpeuplées. Il y a plusieurs mécanismes légaux et d’autres qui ont fait leurs preuves ailleurs (peinesd’intérêt général, caution, bracelet électronique, etc...). La décision du juge d’instruction de placer une personne en détention préventive sans qu’il y ait de débat contradictoire au préalable, n’est pas de nature à garantir les droits de la défense.Cela renvoie à la politique criminelle qui doit puiser son inspirationdes conventions internationales en la matière, mais aussi de notre humanité.

Par Yahia Maouchi
le 04-05-2020

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