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Les disparus : vaut mieux les assumer par Kamel Daoud

Qu’est-ce qu’un disparu ? C’est quelqu’un qu’on n’arrive pas à enterrer, paradoxalement. En Algérie, ils sont des centaines sous le tapis de la réconciliation. Question de fond : peut-on fonder un Etat sans le devoir de sépulture pour les siens ? Non. La question des disparus en Algérie sera encore là dans des décennies. On peut faire semblant de l’oublier, crier comme Bouteflika que les disparus « ne sont pas dans ma poche », ou frapper les familles de disparus qui protestent à Alger comme avant-hier, cela ne mène à rien. Les disparus sont ceux qu’on arrive le moins à tuer ou à faire disparaître. Ils pèsent de tout le poids de l’invisible sur les visages, les mœurs, la légitimité, le droit et la justice. On ne peut pas les renvoyer car ils sont partout chez eux. On ne peut pas les effacer car ils n’ont pas de corps. On ne peut pas les disperser car ils sont au-delà de nous et en nous et à traverss nous. Ils suivent le pas du vivant et c’est lui qui n’arrive pas à disparaitre sous leurs yeux, paradoxalement.

Que dire et faire en Algérie ? Assumer, avouer, accepter, endosser, porter sur le dos. On ne pas continuer ainsi. On ne pourra jamais fonder un Etat sans devoir de sépulture. La question des disparus continue à être traitée sous le chapitre du trouble à l’ordre public alors que c’est trouble de l’ordre moral. On ne peut pas continuer à regarder les morts et leurs familles sous l’angle du sit-in et du policier. On ne peut pas cacher un mort, toujours, tout le temps. Ni absoudre un crime, toujours, à la place des autres. Un jour ou l’autre, il faut ouvrir ce dossier. Pas pour punir, tuer, ou se venger mais pour que l’équilibre des âmes dans le pays soit restauré. On ne peut pas demander des excuses à la France tant que l’on porte en nous la trace d’un autre crime, même entre nous. La culpabilité de l’autre diminue quand il devine en nous la culpabilité des nôtres. On ne peut pas s’absoudre de la question des disparus même quand on est loin, ailleurs ou sans lien. Il s’agit de la fondation de la morale collective et de la quête du salut personnel. Face aux morts, on ne gagne que des sursis. Un jour, il faut les rejoindre, ou leur parler ou leur demander pardon. La question des disparus n’est pas une question politique. C’est un affreux désordre de la justice et de la morale. On ne peut pas la traiter en disant qu’il s’agit de cent cas sur le total de tout un peuple. Un disparu ne se traite pas au poids du corps mais à celui du crime commis.

Du coup, cet étrange cas algérien où la « Réconciliation nationale » est présentée comme le plus grand bond fait par le pays sur la lune mais où cette loi n’est pas fêtée, est gênante, est discrète et personne n’en parle. Un jour, il faudra dire, parler, révéler ou découvrir et c’est peut-être cela qui gêne le plus derrière la peinture souriante du peuple qui s’est pardonné dans le dos du peuple.