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Noureddine Benissad. Président de la LADDH : « La responsabilité des autorités est totale »

Président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, Noureddine Benissad a estimé, dans cet entretien accordé à El Watan, que « la responsabilité des autorités est totale » dans le décès en détention du militant des droits de l’homme, Kamel Eddine Fekhar, puisque « c’est à elles de veiller au droit à la vie ».

Son ONG réclame une enquête qui fera la lumière sur les circonstances de sa mort. Il a également dénoncé le recours abusif à la détention provisoire, alors que les peines alternatives sont consacrées par la Constitution et le code de procédure pénale.

-Le militant des droits de l’homme Kamel Eddine Fekhar est décédé, avant-hier, à l’hôpital de Blida où il avait été transféré en urgence…

Kamel Eddine Fekhar était en grève de la faim depuis plus de 40 jours à la prison de Ghardaïa. Il a été transféré à l’hôpital de Blida suite, semble-il, à des troubles psychiques. Il faut savoir que la grève de la faim qu’il avait entamée avait pour but de protester contre son emprisonnement qu’il estimait injuste. La grève de la faim, quand elle dépasse un certain nombre de jours, notamment un peu plus de 40 jours, il y a des risques de santé très graves, particulièrement sur le plan physique et psychique. Cela peut amener à des problèmes de cécité, d’audition et peut aller vers des crises cardiaques, indépendamment des troubles psychiques. Kamel Eddine Fekhar, semblerait-il, ne reconnaissait plus les gens, ne savait pas ou il se trouvait. Cela amène à penser qu’il avait des troubles psychiques.

-Quand un détenu meurt en détention, la responsabilité des autorités publiques est-elle engagée ?

Il est du devoir et une obligation des autorités pénitentiaires de veiller au droit à la vie. Chaque détenu, et singulièrement dans le cas de Kamel Eddine Fekhar, avait le droit à la vie. Ce n’est pas parce qu’on est emprisonné que nos droits s’arrêtent au pied de la prison. Dans ce cadre, la responsabilité des autorités est totale, puisque c’est à elles de veiller sur ce droit fondamental qui est le droit à la vie.

Nous allons demander une enquête sur les circonstances de sa mort. Je pense qu’on pouvait éviter cela, en le remettant simplement en liberté. Il faut attendre le rapport d’enquête, et éventuellement l’autopsie pour savoir si les autorités pénitentiaires savaient au sujet de ses troubles suite à la grève de la faim, et est-ce que la personne était en danger ou non. A partir de là, quand on estime qu’une personne est en danger, et peut être remise en liberté, je ne vois pas l’utilité de la garder en prison. Si cette personne était en liberté, elle aurait pu, peut-être, bénéficier de soins plus appropriés dans un centre spécialisé.

-Des avocats des associations de droits de l’homme militent, depuis plusieurs années, pour l’application des peines alternatives. Cependant, la justice continue de recourir de manière abusive à la détention provisoire…

Les peines alternatives sont inscrites dans la Convention internationale des droits de l’homme, ratifiée par l’Algérie, et sont consacrées par la Constitution et le code de procédure pénale. On ne cessera jamais de le dire : à quoi sert la prison, lorsqu’il y a des peines alternatives, lorsqu’on peut laisser l’instruction se dérouler sans qu’on mette une personne en prison ? On ne cessera jamais de rappeler que le principe est celui de la liberté, et la prison, c’est vraiment l’exception. Dans son rapport sur la réforme de la justice, feu Mohand Issad avait mis la question des droits de l’homme au cœur de la réforme de la justice. La question des droits de l’homme est intimement liée au respect des principes que l’Etat doit respecter, notamment la présomption d’innocence, et de cesser le recours à la détention quand les peines alternatives, comme le contrôle judiciaire, peuvent être appliquées.

Une personne qui ne représente pas un danger pour l’ordre public, je ne vois pas l’utilité de la mettre en détention, parce que la prison est une école de délinquance. Contrairement à ce que certains soutiennent, elle n’a jamais été un espace pour réhabiliter la personne humaine.

L’indépendance de la justice est liée au degré de démocratisation d’un pays. Il est illusoire de penser qu’on peut parler d’indépendance de la justice dans un Etat autoritaire. Un Etat autoritaire instrumentalise la justice pour se maintenir et pour réprimer tous les opposants politiques. Quoi qu’on dise, Kamel Eddine Fekhar était un détenu d’opinion. Il n’a pas usé de violence, ni commis des délits de droit commun. La place des gens qui expriment une opinion n’est pas en prison.

El watan 29-05-2019