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refus d’autorisation du troisième congrès : la lettre de Ali Yahia Abdenour au Ministre de l’interieur : Monsieur le ministre de l’Intérieur, vous dérapez !

Le refus est incompréhensible, inacceptable, intolérable. Il y a dérapage du ministre de l’Intérieur sur la question des libertés et des droits de l’homme. La méthode inquisitoire qui place la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) dans son collimateur est une intrusion dans la vie associative pour l’instrumentaliser et la mettre sous tutelle. La grande ligne de démarcation est celle qui sépare les associations sécrétées par le pouvoir et encouragées par lui, dociles baudruches flasques et sans contenu qui se réduisent à des appareils vivant en vase clos lui servant de courroie de transmission, et la LADDH, ligue indépendante, souveraine dans ses décisions et ses orientations.

La LADDH, un contre-pouvoir nécessaire

Le ministre de l’Intérieur s’est acharné contre la LADDH durant la décennie écoulée, a tenu ses dirigeants sous surveillance policière permanente, a traqué ses militants dont l’objectif principal est d’ouvrir un boulevard des droits de l’homme aux Algériens. Cette atteinte à la dignité humaine que la Ligue ne cesse de proclamer, de défendre, de protéger davantage, est une valeur universelle. Il resserre son étau sur les forces de contestation, veut faire accréditer l’idée que ceux qui ne s’intègrent pas dans les clans du pouvoir et ne véhiculent pas le discours officiel, n’ont pas droit de cité dans ce pays. Mais il ne parviendra pas à mettre entre parenthèses la LADDH qui défend la liberté et la justice qui sont les fondements de la vie sociale.

Lorsqu’une tyrannie pénètre jusqu’aux tréfonds de l’esprit, du cœur et de la conscience des militants des droits de l’homme qui luttent contre le despotisme et l’injustice, elle entre dans l’univers intolérable de l’arbitraire. Le totalitarisme, avec son machiavélisme politique confinant à l’intransigeance et à l’intolérance, c’est-à-dire la négation des libertés – ce qui engendre l’obéissance et la soumission par la peur – a fait surgir des profondeurs de la nation humiliée, après une décennie d’un Etat policier omniprésent et omnipotent qui a dépouillé le peuple de ses droits, un immense besoin de démocratie, de liberté et de justice. Il y a beaucoup d’émotion, d’indignation et de colère qui chauffent les esprits et les cœurs des militants de la LADDH mobilisés pour assurer le succès de leur 3e congrès.

Ils réaffirment leur volonté d’exercer un contre-pouvoir sur le plan des libertés, de toutes les libertés. La démocratie, c’est la séparation et l’équilibre des pouvoirs, et la présence de contre-pouvoirs. Et qui dit contre-pouvoir, dit qu’il va falloir sortir du politiquement correct. Les droits pour tous et pour chacun, il faut les inscrire dans les faits de manière tranquille, mais résolue et déterminée. Le peuple algérien, absent de la scène politique, est réduit au rôle de spectateur alors que la vie n’est pas un spectacle.

Le ministère de l’Intérieur : Une « machine de guerre »

Les militants de la LADDH, scandalisés, choqués, indignés par cette machine de guerre que représente le ministère de l’Intérieur qui refuse d’ouvrir le jeu politique à toutes les voix discordantes, affirment leur détermination à ne pas être réduits au silence et expriment leur volonté de défendre tout ce qui est politique, économique, social et culturel conformément à la doctrine des droits de l’homme. Enfermer l’Algérie dans un corset de fer est une erreur vite payée par l’éclatement de l’armature elle-même. Cette exclusion va certainement produire des effets opposés à ceux attendus par le ministère de l’Intérieur et renforcera la position de la Ligue qui poursuivra ses activités avec calme, précision et fermeté.
La LADDH attire l’attention de l’opinion politique nationale et internationale qui est le stade suprême de la démocratie sur cet abus de pouvoir qui est un procédé atypique de la pensée unique. Chacun/chacune doit sortir de sa réserve et, au nom de la responsabilité à laquelle il/elle ne peut se dérober, parler, écrire et dénoncer. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme ne souffre d’aucun problème interne. Le deuxième congrès, qui s’est tenu à Boumerdès les 22 et 23 septembre 2005, a retenu, après un débat contradictoire sanctionné par un vote, que le président ne serait pas élu par le congrès. Ce dernier a élu un conseil national de 41 membres, seul souverain entre deux congrès, et le conseil a désigné à son tour un comité directeur de 9 membres qui, après répartition des tâches en son sein, a désigné le président de la Ligue.

La LADDH a fait face à un problème qu’elle a tranché sur-le-champ par l’application de ses statuts. Le conseil national, réuni en session extraordinaire, a remplacé le président de la Ligue par Me Mustapha Bouchachi à une majorité de plus des trois quarts de ses membres. Ceux qui ont suivi l’ex-président se comptent sur les doigts d’une main. Le sujet est clos. L’opinion publique a vu s’étaler à travers quelques journaux, et de façon cynique, l’injure, le mensonge et les contrevérités d’un personnage qui demande au pouvoir de ne pas autoriser la tenue du 3e congrès de la LADDH. François Mitterrand écrivait : « Sur le chemin de la trahison, il n’y a que le fleuve de la honte à traverser ».

Une politique d’un autre âge

Le ministre de l’Intérieur a fait revivre le temps de la colonisation qu’il garde dans sa tête. Si le colonialisme français n’a pas compris que l’Algérie de 1930 – un centenaire a célébré avec faste – n’est pas l’Algérie de 1937, de 1945, de 1948, encore moins celle de 1954, lui n’a pas compris que l’Algérie de 2010 n’est pas celle de 1962, de 1980, de 1990 ni de 1999. Cette politique est celle d’un autre âge, appliquée à une autre société. Combien de fois faut-il commettre les mêmes fautes sans tenir compte des leçons de l’histoire ? Le ministre de l’Intérieur est un produit du système politique issu de la guerre de Libération nationale qui s’est métamorphosé en force d’oppression, toujours prêt à rétablir l’ordre des prisons et la paix des cimetières. Il est arrivé au pouvoir par les urnes le 15 avril 1999 et a justifié sa volonté de pérenniser cette domination par le coup d’Etat constitutionnel de novembre 2008.
Le sentiment d’être indispensable et irremplaçable est inhérent à toute fonction d’autorité. Il domine le peuple algérien comme a voulu le faire un proconsul romain en Numidie il y a 22 siècles et demi. Il ne connaît pas bien ce pays, en définitive ; un pays qu’il n’a pas pris le temps d’apprendre par ses racines, son histoire, sa culture, ses langues. 11 ans à la tête du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales permet de porter un jugement sur sa politique. Mettre en relief l’intégralité de ses propos maladroits serait une œuvre gigantesque qui intéresserait une thèse de doctorat. Quand il improvise, il ne sait pas éviter les dérapages et les excès de ton. Un peu de sobriété serait davantage en accord avec les exigences de sa fonction. De tels propos ne méritent ni attention ni considération. Je me contenterai d’en énumérer quatre.

Le ministre de l’Intérieur porte la responsabilité d’avoir fait tirer à balles réelles en avril, mai et juin 2001, sur les manifestants de Kabylie, faisant 128 morts, des centaines de handicapés à vie et des milliers de blessés. Il a présenté le jeune lycéen de 18 ans, Guermah Massinissa, assassiné le 18 avril 2001 par le gendarme Mestari Merabet à l’intérieur de la gendarmerie de Béni Douala, comme un délinquant de 26 ans. Il ne se voit pas annoncer une autre victoire que celle de son ami Bouteflika. Il a déclaré qu’il « ne signerait jamais l’agrément du parti Wafa ».

Son devoir n’est pas d’avoir des états d’âme, de ne rien concevoir en dehors de ses propres idées, de se placer au-dessus des lois et de faire la loi. Son devoir est d’appliquer la loi, seulement la loi, toute la loi. Pour le ministre de l’Intérieur : « L’assassinat du directeur général de la DGSN Ali Tounsi est une affaire de deux personnes, un crime sans témoins. » La réplique de la famille du défunt est toute de dignité : « Il est affirmé à travers toute la presse que le crime a été commis sans témoins, et qu’il s’agit d’un problème personnel. Contrairement à ces informations infondées, le défunt a été assassiné froidement, lâchement et en toute conscience dans son bureau. »

Ceux qui souffrent de faim et ceux qui souffrent d’indigestion

L’année 2010, qui est à la fois celle de tous les dangers et celle de tous les espoirs, est chargée en événements graves qui secouent le pays dans ses profondeurs, et dont les conséquences sont à venir. Le régime politique traverse l’épreuve la plus dure depuis son installation par la violence en 1962, et certains indices montrent qu’il est à bout de souffle, en phase finale, en fin de règne. Les clans du pouvoir ont éclaté. Parviendront-ils comme d’habitude à se remettre en ordre, ou bien la rupture est-elle trop profonde et nécessite une opération chirurgicale ? Quand le pouvoir n’est pas l’émanation et l’incarnation des gouvernés, il gouverne mal.
Le clanisme n’est qu’une autre facette du tribalisme. Il ne reconnaît que les intérêts de ses membres. Une atmosphère de méfiance, de déception, de peur s’installe dans le pays. La société est figée, bloquée. Elle a besoin d’être remise en marche. Les Algériens s’interrogent sur leur proche avenir à un moment où chacun se dit qu’une grande échéance est proche, que des ruptures à coup sûr, peut-être une redistribution des rôles, sont imminentes et inévitables.
Le sentiment nationaliste et patriotique est utilisé en toutes circonstances par le pouvoir comme forme de mobilisation pour souder la communauté nationale et faire oublier les accumulations de ses fautes de gestion et ses erreurs politiques. Il est temps pour le régime de réaliser que la manière totalitaire de gouverner le pays est devenue anachronique, que la doctrine de la sécurité nationale qui implique le contrôle permanent de la société par les services de sécurité qui ont l’œil à tout, qui dirigent le destin des Algériens de la naissance à la mort, ne fait qu’aggraver la dégradation politique et morale des institutions du pays. A la fin de sa visite à Cuba, Gorbatchev dit à Fidel Castro : « Il faut changer tout ce qui a été fait avant. » La réponse de Fidel Castro était : « C’est moi qui étais déjà avant. »
L’enjeu social trop négligé devient un enjeu politique. Les syndicats autonomes bénéficient de la légitimité sociale. Face à une crise sociale qui s’installe dans la durée, face à une chute réelle du pouvoir d’achat, les Algériens demandent une amélioration de leurs conditions de vie et un partage équitable des richesses du pays. Plus de 60% de nos concitoyens, les pauvres, les retraités, les travailleurs, les couches moyennes, ont des fins de mois difficiles. L’Algérie est divisée entre ceux qui souffrent de la faim et ceux qui souffrent d’indigestion. Le travail définit la condition humaine, notamment le droit à la liberté syndicale et l’adhésion libre sans que les réunions syndicales et autres ne soient prohibées, et les manifestations publiques brutalement réprimées. La corruption est chronique.

La manne pétrolière qui est le sang et la liberté du peuple, multiplie les corrupteurs et les corrompus. Elle défie l’imagination, est devenue un mode de vie et de gouvernement, va du vol pur et simple aux contrats bidon, aux sur-facturations et aux grands brigandages financiers. Il faut barrer la route à ceux qui ont pillé le pays et s’apprêtent à le faire encore davantage, et freiner des quatre fers la course individuelle à l’enrichissement illicite.

Maître Ali Yahia Abdenour

Président d’honneur de la LADDH