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4eme Congrès de la LADDH : Discours de Maitre Benissad

Chers invités,chers congressistes.

Nous tenons notre congrès dans un contexte bien particulier aussi bien pour la problématique des droits de l’Homme dans notre pays et dans le monde que du point de vue de la conjoncture politique globale nationale.

Si l’on devait ,aujourd’hui, évaluer la situation des droits et des libertés depuis la reconnaissance du pluralisme en 1989,nous constaterions que les acquis de la première constitution démocratique de notre pays ont subi,un à un,un révisionnisme régressif cyniquement mené sous les oripeaux de la sauvegarde de la république ou de Progrès.

L’Algérie est passée d’une décennie de violations massives des droits de l’Homme, à un verrouillage politique étanche contre les droits et libertés,à l’ombre d’un état d’urgence de jure puis de facto. Le tout sécuritaire a été souvent mis à profit pour étouffer toute Velléité d’expression libre. La tragédie des disparus,à ce jour sans solution véritable,est Un lourd passif que ne peut éluder une Charte_Loi qui impose l’impunité et une amnésie impossible là ou elle devait garantir la vérité,la justice et la réparation aux victimes et l’honneur aux institutions.{{}}

Paradoxe Algérien,les espérances de liberté exprimées par les citoyens en Afrique du Nord et dans le monde musulman,donneront lieu,chez nous,à l’adoption de lois en janvier 2012,qui au lieu de répondre à la logique d’ouverture et de démocratisation,marquent une régression des libertés en violation de la constitution et des engagements internationaux pris par notre pays, notamment le pacte international relatifs aux droits civils et politiques. L’exigence de mener des réformes profondes et globales est en réalité devenue pour le pouvoir une occasion de verrouiller la société civile et le champ politique, un moyen de renforcer le contrôle de la société.

La levée de l’état d’urgence anticonstitutionnel de 1992, après sa reconduction illégale jusqu’en 2011,n’a fait que transmuter son contenu en nouveaux dispositifs législatifs et réglementaires ainsi que des pratiques encore plus répressifs.

La liberté d’organisation en parti politique, en syndicat et en association et les libertés de réunion et de manifestation seront pendant des décennies durant, otages d’un arbitraire administratif illégal sans recours possible.

La réouverture du droit de se constituer en parti accentue la main mise de l’administration sur les acteurs politiques, cachant mal la seule véritable motivation de la mesure,celle de l’émiettement des forces de l’opposition.

Summum de la collection juridique autoritaire, la scélérate loi sur les associations vise à Interdire toute autonomie à la société civile pour la mettre sous contrôle politique permanent du pouvoir.On est passé du régime déclaratif plus libéral à un régime d’agrément préalable contraire à l’esprit et à la lettre du pacte international relatif aux droits civils et politiques pourtant ratifié par l’Algérie. Les conditionnalités administratives, juridiques et financières contenues dans cette nouvelle loi du 12 janvier 2012 nombreuses (autorisation préalable administrative, mode de financement, coopération avec les organisations étrangères, conditions de suspension ou de dissolution des associations par l’administration etc …) donnent de larges pouvoirs à l’administration pour accorder ou non l’agrément et prononcer la suspension ou la dissolution de manière arbitraire. Le congrès de conformité est une épée de Damoclès aux mains de l’administration pour faire soumettre ou éliminer toute association existante. Et contrairement aux recommandations de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme selon lesquelles « en cas d’adoption d’une nouvelle loi, toutes les ONG enregistrées auparavant devraient être considérées comme poursuivant leur fonctionnement au regard de la loi et il faudrait leur prévoir des procédures accélérées pour mettre à jour leur enregistrement »,la loi du 12 janvier sur les associations dans son article 70 nous oblige à nous conformer à la nouvelle loi en procédant au dépôt d’une nouvelle demande d’agrément en sachant que l’administration dispose de larges prérogatives pour accorder ou non l’agrément.

L’innovation juridique en la matière est la possibilité donnée à l’’administration de suspendre ou de dissoudre une association pour « ingérence dans les affaires internes du pays ».La LADDH a eu à dénoncer et à combattre les conséquences irresponsables de cette disposition de la loi notamment dans la wilaya d’Oran.

Les libertés de rassemblement et de manifestation restent, quant à elles, otages du fait du prince d’une administration d’autant plus arbitraire que sa toute puissance ne trouve nulle limite en l’absence d’un pouvoir judiciaire indépendant. Est il nécessaire de rappeler qu’un attroupement pacifique peut se voir qualifier d’acte terroriste en vertu de l’article 87 bis du code pénal, que la disposition légale du droit de manifester a été suspendu,dans la capitale,par une simple circulaire jusqu’ici non publiée.

En l’absence de la miraculeuse autorisation administrative, aucune réunion publique dans un espace public ne peut avoir lieu. Tenue à notre corps défendant dans l’espace privé d’un parti politique-le MDS que nous remercions vivement- notre présent congrès, destiné pourtant à remplir une exigence légale de mise en conformité, n’a pu ,à deux reprises ,accéder à ce précieux sésame administratif.

A la base de toute la philosophie des droits de l’Homme, l’égalité est encore loin d’être la règle dans notre Etat et dans notre société, malgré le juste statut constitutionnel qui est le sien. La ségrégation infâme qui frappe les femmes nous interpelle pour arracher l’abrogation du code de la famille, la levée de toutes les réserves de la convention de la CEDAW ratifiée par l’Algérie et la ratification ainsi que la mise en œuvre effective du protocole annexe à la CEDAW car un Etat et une société qui discriminent encore la moitié de sa population ne peut prétendre décemment à un avenir prospère
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Les violences non étatiques sont une forme de cruauté infligée à la personne humaine.Les violences contre les femmes et les enfants constituent un défi moral et juridique que l’Etat et la société doivent assumer ensemble et il est impératif que des législations spécifiques soient adoptées par la mise en œuvre de mécanismes concrets pour la protection de ces catégories contre les violences qu’elles subissent.

Certes,constituant une avancée,la criminalisation de la torture n’a pas encore vaincu Cette pratique abominable et inhumaine contre l’intégrité physique de la personne et pour les cas qui sont rapportés par des citoyens ou les médias,la LADDH a toujours exigé qu’une ouverture d’une information judiciaire soit ouverte et la traduction des auteurs devant un tribunal impartial mais il reste à arracher la ratification par notre pays du protocole facultatif contre la torture. L’identification publique et l’humanisat des lieux de garde à vue ainsi que la présence de l’avocat dès les premières heures de la garde à vue sont un minimum de garantie pour lever tout soupçon de torture.

Acquis important,le moratoire observé,depuis 1993,sur la peine de mort n’a pas pour autant définitivement expurgé notre législation de cette sanction aussi odieuse qu’irréversible et irréparable. Là également,la ratification par l’Algérie du deuxième protocole additionnel relatif aux droits civils et politiques conduira à abroger définitivement la peine de mort dans notre pays.

Les lois sur l’information et l’audiovisuel attestent que le droit à l’information du citoyen est prisonnier de la glorification de la pensée unique.
Ces lois doivent être abrogées en les mettant en conformité avec les dispositions de la constitution et du pacte international relatif aux droits civils et politiques notamment son article 19 ratifié par l’Algérie et qui répondent aux standards internationaux en matière de liberté d’expression. Il faut ouvrir le champ de l’audiovisuel et ne pas le limiter aux chaînes thématiques e garantir de manière effective l’indépendance des autorités de régulation aussi bien pour l’audiovisuel que pour la presse écrite .La levée du monopole de l’Etat sur la publicité en confiant sa gestion et sa répartition à une autorité indépendante qui active sur des critères précis et transparents ,l’indépendance des journalistes ,l’abrogation du délit de presse et l’accès aux sources d’information sont autant de garanties pour une expression libre et plurielle.

La corruption est un sujet d’inquiétude en ce sens que ce phénomène est un risque de dislocation du tissu social. La corruption,c’est en effet,moins d’hôpitaux et moins de médicaments pour nos malades,moins d’écoles pour nos enfants,moins de routes ,moins de réseaux d’assainissement et moins d’équipements sociaux sans compter que c’est un obstacle majeur à l’investissement et un facteur qui aggrave la fracture sociale.

Il est temps d’aller vers l’éradication des sources de corruption par des réformes profondes et audacieuses de l’Etat,de la justice et de l’adoption d’une législation sur l’accès à l’information pour les citoyens concernant les dépenses publiques. Si la lutte institutionnelle contre la corruption est nécessaire,il faut permettre ,conformément aux dispotions de la convention internationale de la lutte contre la corruption,à la société civile d’apporter sa contribution .

Les droits culturels sont aussi malmenés .Le droit à l’éducation est en régression quand nous voyons des milliers d’enfants exclus du système scolaire et que l’obligation de scolarisation jusqu’à l’age de 16 ans n’est plus de rigueur. Un déni qui frappe dans leur langue maternelle,un demi siècle après l’indépendance,des millions d’algériens amazighophones,est un droit inabouti.On est tous interpellés pour rendre justice à ses locuteur et à l’histoire en officialisant tamazight.

Les droits sociaux et économiques sont un autre volet ou nos concitoyens souffrent de précarité et d’injustices multiformes. Les problèmes d’emploi et de chômage,de logement et de santé sont les plus récurrents. Des politiques publiques appropriées doivent urgemment mises en place pour leur permettre de vivre dans la dignité et le respect.

Les libertés syndicales sont elles aussi malmenées malgré le fait que la constitution consacre le droit de grève et la liberté de s’organiser en syndicat et que notre pays ai ratifié la plupart des conventions internationales de l’OIT.

On peut faire deux lectures sur l’évolution des droits de l’Homme dans le monde pour ces cinquante dernières années .Une lecture optimiste : l’universalisation de la revendication des droits de l’Homme et leur indivisibilité car ils doivent être reconnus dans leur globalité. La mise hors la loi -même s’ils ne sont pas encore entièrement éradiqués-de la colonisation,de l’apartheid et du racisme.

Une autre lecture plus pessimiste : l’adhésion presque universelle au principe des droits de l’Homme,n’est pas une garantie contre les atteintes qui continuent à leur être portées.

On ne peut aujourd’hui réfléchir à la situation des droits de l’Homme sans évoquer les effets multiformes de la mondialisation. Elle entrave paradoxalement le processus d’universalisation des droits de l’Homme . Elle ne renforce pas seulement les inégalités de revenus entre les pays riches et les pays pauvres,elle accentue aussi la jouissance des droits de l’Homme.L’intensification de la compétition mondiale couplée avec la déréglementation affecte en priorité les droits sociaux :le nivellement par le bas des rémunérations et des systèmes de protection sociale,la dégradation des conditions de vie,la précarisation de l’emploi,mais aussi la remise en cause du droit de grève,le recours au travail des enfants.

La mondialisation,dans le même temps,aide à prendre conscience que la menace pour les droits de l’Homme ne vient pas seulement de l’Etat mais aussi du pouvoir économique représentées par les multinationales puissantes,et que,dans ce contexte,c’est à l’Etat qu’il revient de protéger les libertés menacées en faisant obstacle au règne sans limites du marché.

C’est pour cela que l’histoire les droits de l’Homme n’est ni l’histoire d’une marche triomphale,ni l’histoire d’une cause perdue d’avance : elle est l’histoire d’un combat.

Et le combat dans notre pays ,c’est l’avènement d’une nouvelle république ou la citoyenneté ne sera pas un vain mot que les libertés fondamentales soient respectées et effectives,que l’Etat de droit soit une réalité avec une constitution perrenène qui consacre une séparation effective et un équilibre des pouvoirs avec un pouvoir judiciaire indépendant qui garanti l’alternance au pouvoir et une répartition équitable de la richesse nationale.

Mais il ne faut pas se faire d’illusions car l’etat des droits des l’Homme est lié au degré de démocratisation d’une société et plus la démocratie avance et plus les droits de L’Homme sont respectés et c’est pour cela que des élections libres ne peuvent avoir de sens que s’il y a un climat démocratique favorable permettant la liberté d’expression de réunion ,de manifestation,de création d’association ,de syndicats et de partis.

Je vous voudrais rendre hommage aux ONG internationales notamment à la FIDH et REMDH pour le travail de qualité qu’ils font pour la défense et la promotion des droits de l’Homme dans le monde .

Je voudrais aussi rendre hommage à Maitre Ali Yahia Abdenour pour tout le combat Qu’il a mené toute sa vie pour la liberté du peuple algérien et pour les droits de L’Homme en Algérie.

merci de votre attention.


Alger le 6 decembre 2013.

Le président de la LADDH

Nour-Eddine Benissad