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Condamnation de Khaled Drareni : où est donc passée « l’Algérie nouvelle » ?

vec la peine injuste infligée au journaliste, le président algérien renie ses premiers engagements et s’enfonce dans la spirale de la répression, estime le secrétaire général de Reporters sans frontières.

Le 13 décembre 2019, lors d’une conférence de presse, à peine élu à la présidence de l’Algérie, Abdelmadjid Tebboune vantait les mérites de son projet d’« Algérie nouvelle », une Algérie plus ouverte, plus démocratique. En réponse aux millions de manifestants qui, depuis deux mois déjà, réclamaient « une Algérie libre et démocratique », le nouveau chef de l’Etat affirmait vouloir « tendre la main au Hirak », et notamment défendre la liberté de la presse. Y avait-il lieu de croire à une Algérie du futur, en tout cas à une « Algérie nouvelle » ?

Certains signes étaient positifs. La liberté de la presse était devenue un principe constitutionnel avec la révision de la Constitution de 2016. Nous avions salué à l’époque l’introduction de l’article 50 qui marquait une avancée importante pour le droit et la liberté d’informer en Algérie. Lors de son premier Conseil des ministres, le 5 janvier 2020, le président Tebboune appelait le gouvernement à consolider cette liberté sans laquelle les autres libertés ne sauraient être garanties.

Placements en garde à vue, de chantages
Où est donc passée l’Algérie nouvelle ? Le pays avait déjà perdu 25 places au Classement mondial de la liberté de la presse depuis 2015, dont cinq de 2019 à 2020. A la 146e place sur 180 pays, le régime s’enfonce encore dans une spirale de la répression. Le 22 avril 2020, en pleine crise de Coronavirus et dans un hémicycle presque vide, les parlementaires adoptaient un projet de loi criminalisant la diffusion des « fausses informations » qui portent « atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat ».

De son côté, le ministère de la Communication a interdit des médias pour des motifs fallacieux. Dans les semaines qui suivent les promesses présidentielles, le journaliste Khaled Drareni et ses confrères algériens se font l’écho d’arrestations arbitraires de manifestants du « Hirak » qui se multiplient. Des journalistes sont poursuivis, et parfois condamnés à des peines de prison, simplement pour avoir tourné des images des manifestations.

Les autorités algériennes profitent aussi de l’épidémie de Covid pour s’attaquer avec une violence rare à l’un des journalistes les plus populaires, Khaled Drareni, qui a résisté à des pressions intenses et réitérées. Le 29 mars, après un harcèlement qui a duré des mois, à base de placements en garde à vue, de chantages, le directeur de la rédaction de Casbah Tribune, également correspondant de TV5 Monde et de Reporters sans frontières (RSF), était incarcéré pour « atteinte à l’intégrité du territoire national » et « incitation à attroupement non armé. »

Consternant réquisitoire
Le dossier est vide, purement et simplement vide. Les accusations sont absurdes. Le procureur de la République n’a d’ailleurs trouvé que deux messages sur Facebook pour construire artificiellement son consternant réquisitoire. Le journaliste s’est vu reprocher au cours de son procès d’avoir critiqué sur Facebook le système politique et d’avoir publié un communiqué d’une coalition de partis politiques en faveur d’une grève générale. Néanmoins, le 10 août, Khaled Drareni était condamné à trois ans de prison ferme.
Cette condamnation, qui viole de manière évidente la Constitution et marque une infidélité aux idéaux de l’indépendance algérienne, soulève le cœur et l’esprit par son caractère arbitraire, absurde et violent. Il s’agit clairement d’une persécution judiciaire contre un journaliste qui fait preuve d’une remarquable indépendance d’esprit et est l’honneur de son pays. Au-delà, c’est un message d’intimidation inacceptable contre la presse algérienne dans son ensemble.

Les autorités affirment n’avoir que faire du regard de la communauté internationale. De telles insultes à la liberté de l’esprit et au pluralisme nuiront de manière évidente à l’image des institutions et des dirigeants du pays. Cette décision qui relève d’une justice aux ordres vient de faire de Khaled Drareni un symbole qui va susciter une indignation et une mobilisation mondiales.

In Libération
Par Christophe Deloire, Secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) — 11 août 2020 à 14:31