(Array|find{1779}|oui)

ME NOUREDDINE BENISSAD, À “LIBERTÉ” : “Les conditions sont dures dans les centres de rétention”

Les causes de la migration sont multiples : elles sont d’ordre politique, économique, social et culturel. Ces causes se croisent et se renforcent. La marginalisation et l’exclusion de la décision politique, la hogra, les passe-droits, la corruption, le faible niveau de gouvernance, la répartition inégale du revenu national, le chômage, le problème de logement et d’accès aux soins, la pauvreté...,

Liberté : En votre qualité de président de la Laddh, vous vous êtes engagé à vous rendre en Espagne et en Italie pour vous enquérir des conditions de vie des harragas dans les centres de rétention. Quel constat faites-vous ?

Me Benissad : Je ne me suis jamais engagé à aller m’enquérir sur les conditions de détention des harragas dans les centres de rétention en Espagne et en Italie pour la simple raison qu’en tant qu’association, nous n’avons ni les moyens financiers ni les moyens légaux pour le faire. En revanche, les associations locales ou internationales leur viennent en aide, notamment en veillant au respect de leurs droits (accès à la nourriture, à l’eau, aux soins, aux différents recours juridictionnels, etc.). En contact avec ces associations, nous essayons de faire le maximum pour nos compatriotes. Les centres de rétention sont des prisons qui ne disent pas leur nom. Les conditions de vie sont très dures, que ce soit au niveau de l’hygiène, de la promiscuité, de la nourriture adaptée aux malades et de la liberté de circuler.

Les harragas retenus dans les centres de rétention ne sont que des numéros entourés de barbelés, l’obsession sécuritaire est plus importante que le droit et la dignité humaine. Pour défendre l’Europe contre les migrants d’une manière générale, l’Union européenne a mis sur pied une organisation militaire, une police des mers qui porte le nom de Frontex. Cette agence gère les “frontières extérieures de l’Europe”, c’est-à-dire les frontières extracontinentales. Elle dispose de navires d’interception en haute mer rapides et armés, d’hélicoptères de combat, d’une flotte d’avions de surveillance munis de caméras ultrasensibles et de vision nocturne, de radars, de satellites et de moyens sophistiqués de surveillance électronique à longue distance.

Elle est chargée d’intercepter les migrants qui essayent de s’approcher des côtes des États de l’UE. Voilà le constat : le déni des droits des migrants en tant que personnes humaines et d’énormes moyens humains, financiers et technologiques déployés contre des jeunes migrants sans défense.

Comment expliquez-vous le phénomène de l’émigration clandestine par voie maritime ?

Le flux migratoire se fait à 90% par voie maritime et principalement par la mer Méditerranée que ce soit pour nos compatriotes ou les migrants en provenance du Sahel. Les voies terrestres étant pratiquement hermétiques pour diverses raisons, il ne reste que la mer. Mais quelle que soit la route empruntée, les motivations pour rejoindre l’Europe sont les mêmes. À chaque fois qu’on essaye de rendre inaccessible une route ou une frontière, les flux migratoires s’orientent vers de nouveaux passages censés être moins difficiles, car il faut compter sur “l’ingéniosité des passeurs”, de véritables organisations criminelles. Les deux routes principales, celle de la Méditerranée centrale et celle de la Méditerranée orientale se sont taries. La nouvelle route, celle de la Méditerranée occidentale est aujourd’hui devenue la principale voie d’accès à l’Europe.

Ici ou de l’autre côté de la Méditerranée, ces jeunes ne sont-ils par victimes d’une atteinte aux droits humains ?

Les causes de la migration sont multiples : elles sont d’ordre politique, économique, social et culturel. Ces causes se croisent et se renforcent. La marginalisation et l’exclusion de la décision politique, la hogra, les passe-droits, la corruption, le faible niveau de gouvernance, la répartition inégale du revenu national, le chômage, le problème de logement et d’accès aux soins, la pauvreté..., c’est à cause d’autant de souffrances cumulées et d’atteintes à leur dignité humaine que les harragas tentent de quitter leur pays au péril de leur vie. Les centres de rétention qui les attendent sont des prisons qui taisent leur nom, des zones de non-droit. Même les personnes vulnérables comme les femmes enceintes et les enfants mineurs sont soumis à des traitements inacceptables, en violation des conventions internationales et régionales relatives aux droits de l’homme. Pour ceux qui échappent aux centres de rétention, certains sont carrément exploités par des entrepreneurs peu soucieux du respect des droits des migrants et d’autres vivent dans des conditions précaires. Les réseaux criminels ou les passeurs s’enrichissent sur le dos des jeunes harragas et les abandonnent parfois en pleine mer. C’est devenu un gros business qui, à titre d’exemple, a rapporté 4 milliards de dollars provenant de la migration à partir de la Libye. Ceux qui fournissent le bois depuis des pays scandinaves et de la Baltique, ainsi que les pneumatiques d’Europe et d’Asie pour la fabrication d’embarcations ramassent des fortunes sans se soucier des drames humains auxquels ils participent avec les réseaux criminels de passeurs. Autant d’atteintes à leurs droits les plus élémentaires.

Beaucoup de harragas ne donnent plus signe de vie après avoir pris le départ par mer. Quel est le statut juridique des disparus en mer ?

C’est un véritable drame, en particulier pour les familles de harragas disparus. Un collectif des familles de harragas disparus a été constitué à Annaba. Ce collectif de familles soutenu par notre Ligue a fait plusieurs tentatives pour retrouver ses enfants et ses proches. Ont-ils disparu en mer, se trouvent-ils encore dans des centres de rétention ou des prisons dans des pays voisins ou dans des pays d’Europe ? Pour l’instant, ils n’ont aucune nouvelle de leurs enfants ou proches et ils ont toujours espoir de les retrouver un jour. Ces familles ont besoin d’aide, d’écoute, d’accompagnement, et il est du devoir et de la responsabilité de l’État de le faire. Ensuite, d’une manière générale, il appartient aux ayants droit d’intenter une action en justice pour déclarer la disparition d’un des leurs et obtenir un jugement de disparu qu’ils auront à faire prévaloir face à qui de droit.

In Liberté du 17-01-2019