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Me Noureddine Benissad:Ces dispositions pénales qui répriment les libertés doivent être abrogées

En cette période de crise sanitaire et du début de déconfinement, les arrestations et les procès des activistes et militants du hirak se multiplient, pourquoi à votre avis ?

Il faut souligner que depuis les amendements apportés le 28 avril 2020 au code pénal et pendant l’épidémie de Covid-19, les arrestations des activistes, des blogueurs et des militants se sont effectivement multipliées.

Ces amendements concernent notamment la diffusion et la propagation d’informations ou de nouvelles (fake news) portant atteinte à l’ordre et la sécurité publics et l’atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’unité nationale.

Ces actes sont criminalisés en vertu de l’article 196 bis, qui prévoit une peine d’emprisonnement de 1 à 3 ans et une amende de 100 000 à 300 000 DA contre toute personne qui, volontairement, diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des informations ou nouvelles fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics.

Des infractions très vagues, comme celles d’atteinte à l’unité nationale ou à l’intégrité du territoire national, à travers lesquelles on ne distingue plus le droit à la critique et donc le droit à la liberté d’expression et ces notions élastiques. Ces infractions vont à l’encontre d’un principe fondamental du droit pénal, lequel est censé protéger l’exercice des libertés, qui est le principe de légalité.

Ce principe exige que l’infraction doit être définie d’une manière claire et précise pour éviter les abus dans les poursuites et les peines.

Je crois que cette accélération en matière de multiplication des arrestations est liée principalement à ces amendements, pour lesquels il n’y a pratiquement pas eu de débat et encore moins de concertation. On est toujours dans la tendance du tout sécuritaire pour traiter la situation politique et l’ultra judiciarisation de la vie politique et associative.

– En tant qu’homme de loi, que pensez-vous des chefs d’inculpation retenus contre ces militants, notamment Amira Bouraoui qui vient d’être condamnée à une année de prison ferme et avant elle des journalistes ?

Les chefs d’inculpation retenus contre eux ne tiennent pas la route. Outre le fait que ces infractions soient de caractère politique, car transposées de l’ancien code français, elles ne sont pas fondées juridiquement au regard des faits car relevant de la liberté d’expression pacifique.

Je continue à soutenir que ces dispositions pénales qui répriment les libertés doivent être abrogées pour les mettre en conformité avec la Constitution et les conventions internationales relatives aux droits civils et politiques ratifiées par notre pays. La liberté d’expression est une liberté fondamentale et aucune personne, a fortiori un journaliste, ne devrait être inquiétée pour ses écrits.

On a beau adopter la plus belle Constitution au monde, elle ne vaudra que par le respect effectif qu’on voudra bien lui réserver. Déroger à la Constitution par les pratiques d’abus, c’est enterrer peu à peu toute perspective de construction de l’Etat de droit.

– Le pays vit une conjoncture particulière, notamment une crise sanitaire aux conséquences néfastes, et d’aucuns estiment ces arrestations ne feront qu’envenimer la situation ; qu’en pensez-vous ?

Cela fait longtemps que nous appelons à des mesures d’apaisement, notamment à libérer les détenus d’opinion, à abandonner les poursuites contre tous les hirakistes et à cesser les arrestations de personnes pour avoir exprimé des opinions.

Non seulement ces mesures sont nécessaires et urgentes, mais il faut ouvrir les champs politique, médiatique et associatif pour une expression libre, plurielle et pacifique de la société. Je ne vois pas d’autre solution pour préserver la paix civile.

in Elwatan 23 juin 2020