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Entretien avec le Pr Farid Chaoui:Mettre le malade au centre de la politique de santé

La santé n’est pas qu’une affaire de médecin, on avait oublié cette évidence que le Pr. Farid Chaoui nous rappelle dans cet entretien. La santé physique et mentale d’une population est une question qui ne peut être dissociée des choix politiques fondamentaux d’une nation. Un médecin n’est pas qu’un prescripteur de soins, c’est également un citoyen qui inscrit l’exercice de sa profession dans le cadre d’une vision de la santé d’une population donnée et de la place qu’elle occupe dans les choix stratégiques d’une nation. Cet entretien, pose la question essentielle de la clarté dans l’élaboration d’une politique de santé publique, insiste sur l’importance de la concertation permanente entre les divers acteurs de la santé, pointe du doigt l’exigence de rationalité dans la gestion des ressources et souligne la nécessité du principe de solidarité nationale.

Comment va la santé en Algérie ?

aimerais commencer par définir le concept de santé. Le concept de santé reste assez flou d’autant que notre spécialité en Algérie consiste à mélanger les concepts, ce qui n’arrange rien. La définition de l’OMS, c’est connu par tous, c’est le bien être physique, psychique… Cela est important, mais ce n’est pas suffisant. Important car la définition indique que la santé ne se limite pas aux soins, à l’hôpital, au médecin, au cabinet. Elle englobe aussi l’environnement dans lequel l’homme évolue : Le logement, le travail, y’a-t-il de l’eau courante, bénéficie-t-il de l’assainissement des eaux usées…Le mérite de la définition de l’OMS est de souligner que la santé est une question multisectorielle. Ce n’est pas le ministère de la santé, seulement, qui s’occupe de la santé de la population. Il y a toute une politique qui relève du ministère de la santé en tant que chef d’orchestre. Mais elle implique aussi l’intervention d’autres secteurs. On ne peut pas se soigner correctement et être en bonne santé si on est mal rétribué, si on habite dans un bidonville et si on n’a pas la sécurité sociale… On ne peut pas se soigner correctement si on prend des antibiotiques tout en vivant dans un environnement où il n’y a pas d’assainissement des eaux usées. Le second élément est que la notion de santé implique une responsabilité à la fois collective et individuelle. Individuelle, car chaque individu est au premier chef responsable de sa propre santé. Pour préserver sa santé, il faut commencer par éviter les comportements à risque : Fumer, boire excessivement de l’alcool, manger gras et sucré, ne pas avoir d’activité physique, conduire à 180 km/h sur l’autoroute, etc… Il y a donc une responsabilité personnelle. Mais en même temps, il y a une responsabilité collective. La Santé ce n’est pas seulement un mécanisme de distribution de soins, un couloir où l’on entre quand on est malade et dont on sort guéri au bout… La santé est l’un des socles de la cohésion nationale… S’il y a une double entrée pour la santé, une petite porte pour les pauvres et une grande pour les riches, cela est une discrimination inacceptable. Pas plus qu’il n’est acceptable d’aller voir un juge pour les riches et un autre pour les pauvres ; La justice, l’éducation et la santé sont les trois socles de la cohésion nationale, si on en brise, un on déstabilise cette cohésion. Prenons l’exemple de l’Angleterre de Thatcher qui a été une des périodes de libéralisation les plus sauvage au 20ème siècle. Thatcher qui a œuvré à tout libéraliser, n’a pas touché au secteur de la santé… Idéologiquement et politiquement, c’était impossible à faire, il y avait risque trop grand pour la cohésion de la société anglaise de détruire un système né après la seconde guerre mondiale et qui était fondé sur la solidarité et l’équité. Ce sont, en effet, ces deux grands principes qui doivent régir un système de santé

Finalement, le critère politique, société libérale, société fermée, n’est pas opératoire ?

Pas du tout. Le seul pays au monde qui considère, encore aujourd’hui, que la santé est une marchandise comme une autre, à laquelle on accède en fonction de ses moyens, ce sont les Etats-Unis. Même Obama n’a pas pu changer fondamentalement les choses. Il a fait de timides avancées qui ont suscité des oppositions farouches, mais partout ailleurs, dans tous les pays de l’OCDE, la santé est considérée comme un bien commun qu’il faut protéger et défendre sur des bases de solidarité et d’équité. Aucune société, libérale ou non, ne peut sans risque d’explosion sociale, abandonner ces principes de base qui doivent régir un système de santé.

En Algérie aussi ?

Au Maghreb en général et en Algérie en particulier, on est entrain de naviguer entre deux systèmes. Il y a d’un côté un discours politique qui insiste sur la nécessité de protéger la santé des citoyens par l’Etat, mais en pratique, on laisse les choses dériver vers une dégradation du secteur public et l’on encourage le développement d’un secteur privé sans pour autant l’encadrer. Ce dernier, à la limite, fonctionne hors normes. Une de ses anomalies, et ce n’est pas la moindre, est que les actes dispensés par le secteur privé ne sont pratiquement pas remboursés par la sécurité sociale, donc laissés à la charge des malades. C’est important, car lorsqu’on examine la dépense nationale de santé, c’est-à-dire ce que la communauté nationale génère comme biens pour soigner la population, en analysant sa structure, on arrive à définir quelle est la nature idéologique d’un système de santé national. Dans notre pays, nous sommes politiquement et idéologiquement dans l’ambigüité la plus totale et c’est très préjudiciable. On développe d’un coté un secteur public que l’on assassine par une gestion catastrophique ; de l’autre côté, on laisse se développer un secteur privé – ce qui n’est pas une mauvaise chose, je le précise car je ne suis pas contre le privé- qui est ignoré politiquement par le ministère de la santé et économiquement par la sécurité sociale. Cela signifie qu’on a créé deux systèmes parallèles, l’un pour les riches, l’autre pour les pauvres…

C’est le système qui veut cela, non ?
Au début, je pensais que c’était une dérive liée à l’absence d’une politique de santé. Mais quand on regarde les différentes étapes traversées par le système de santé, on se rend compte qu’il s’agit d’une politique délibérée. Elle consiste à faire supporter aux ménages une part de plus en plus importante de la dépense de santé. Les choses se sont fortement aggravées après le passage du FMI dans le milieu des années 90.

Si on faisait d’abord un état des lieux ?

L’état des lieux permet effectivement de comprendre pourquoi on en est arrivé là. L’analyse permet de distinguer quatre étapes.

* La première est celle qui vient après l’indépendance, soit entre 1962 et 1972…

Il faut souligner pour les jeunes auxquels l’histoire est si mal enseignée, qu’en 1962 la situation était particulièrement catastrophique. On avait un quart de population déplacée soit dans des camps de regroupement ou dans des camps de réfugiés en Tunisie. Cela faisait 2 millions de personnes sur une population de 8 millions, c’est énorme. Deuxièmement, le système de santé mis en place par la colonisation était essentiellement orienté vers la seule prise en charge des besoins de la population pieds-noirs. Le reste de la population était abandonné à lui-même. La seule politique qui était développée à l’endroit de la population « indigène » s’articulait autour de la lutte contre certaines endémies infectieuses, mais il n’y avait que très peu d’encadrement sanitaire de la population dite indigènes. Au lendemain de l’indépendance, il y avait moins de 300 médecins « d’origine indigène ». Dans une situation extrêmement difficile, il fallait réanimer les structures laissées sur place par la colonisation, désertées par les personnels de santé, essentiellement d’origine européenne. Il fallait mettre en place un minimum d’encadrement de la population au moins pour faire face aux grandes épidémies qui causaient des ravages dans un pays dévasté par la guerre. Les maladies transmissibles représentant à cette époque l’essentiel de la pathologie au niveau national. Beaucoup d’efforts ont été faits à cette période avec la création de certaines institutions comme l’INSP* en 1964 et le développement de programme de lutte contre les maladies transmissibles les plus prévalentes, à l’exemple de l’excellent programme de lutte contre la tuberculose mis en place par le Pr. Chaulet et le Pr. Larbaoui. Mais les moyens manquaient. Il a fallu faire appel à la coopération internationale. On a réussi à faire face aux situations les plus graves, sans plus.

* Après 1972 et la nationalisation du pétrole, les revenus du pays ont augmenté.

L’Etat algérien va développer un politique plus volontariste basée sur les fameuses « trois révolutions : industrielle, culturelle et agraire ». Dans le domaine de la santé, le grand slogan de l’époque était la médecine gratuite. Les gens y ont adhéré, bien qu’en réalité il ne s’agissait pas de la médecine gratuite (toute médecine à un coût), mais plus simplement d’une ouverture universelle à un libre accès aux soins. Tout citoyen algérien quels que soient ses revenus pouvait aller dans le secteur public qui était pratiquement le seul qui dispensait des soins, puisque l’Etat était le principal employeur des personnels de santé et le principal gestionnaire de toutes les structures de soins. Il mettait pas mal d’argent dedans. Deux grandes décisions ont été prises pour assurer le succès de cette politique. La première est la nationalisation de la sécurité sociale. Afin d’assurer le financement de cette politique de médecine gratuite, l’Etat a décidé de prélever, de manière autoritaire, une somme d’argent des caisses de sécurité sociale. On a dit à la sécurité sociale : Vous allez verser tant d’argent dans le budget de la santé ; c’est ce qui est communément appelé « le forfait hôpitaux ». Mais la sécurité sociale n’avait aucun pouvoir de contrôler l’usage de l’argent, ni a priori ni a postériori. Afin d’encadrer cette même politique, on a mené une politique de formation de médecins, dite politique de formation de1000 médecins par an. La réforme dés études médicales (74) a permis de former des médecins de qualité appréciable et en nombre.
L’incidence directe de cette politique est le changement dans le mode de financement du système national de santé. Dans les années 60, c’est l’Etat qui finançait principalement les soins de santé à partir du budget de l’Etat, la sécurité sociale, ne finançait que ses assurés … A partir des années 70, la sécurité a financé tout le monde, assurés sociaux ou non. Et c’est là que la dépense nationale de santé a commencé à changer. Dans les années 60, les soins étaient pris en charge à 60% par l’Etat, 30% par la sécurité sociale et à 10% par les ménages. A partir des années 70, les choses ont complètement changé, les dépenses de l’Etat ont diminué pour tourner autour de 30, 40%. La sécurité sociale à l’inverse est devenue le principal financeur du système de santé sans disposer d’aucun moyen de contrôle sur cette dépense, ce qui est discutable sur le fond et la forme. Ce sont quand même les cotisations des assurés qui sont utilisées. Certes, on peut dire que c’est pour le bien de tous, mais on verra que dans le détail ce n’est pas aussi vrai que cela.

* La troisième période, c’est l’avènement du pétrole cher, le PAP, programme anti-pénuries, dans les années 80…

On a décidé qu’il faut en finir avec les privations, les restrictions… Que l’on va renforcer le secteur public mais en même temps laisser se développer un secteur privé, puisque l’Etat ne pouvait plus employer tous ces médecins formés en grand nombre depuis les années 70. Ainsi se développera d’abord une médecine privé ambulatoire (cabinet médicaux et petites cliniques d’accouchement), puis, vers la fin des années 80, autorisation est donnée pour le développement de la médecine hospitalière privée (cliniques). D’importantes sommes sont investies dans la construction de nouvelles structures hospitalières (40 hôpitaux neufs sont mis en service) et une importation massive d’équipements lourds est décidée durant cette décennie. Mais d’une part ces investissements se sont faits dans la hâte, sans étude approfondie des besoins et d’autre part, ils seront financés en grande partie par un très important prélèvement financier des caisses de la sécurité sociale. A double titre, les choses se sont faites envers et contre le bon sens.

C’est-à-dire ?

Les hôpitaux construits ont été répartis sur le territoire national trop souvent en fonction du poids de lobbies politiques qui imposaient le choix du lieu d’implantation. Ces hôpitaux ont donc été construits au détriment d’une planification qui tient compte des bassins de population, des besoins réels… C’est grave. L’exemple typique est celui de Djanet, on a fait un hôpital de 60 lits.

Dans les années 90 j’y suis allé et découvert qu’il n’a jamais servi. Il est resté fermé… Il y avait en fait une infirmerie qui fonctionnait et suffisait aux besoins de la population de la ville de Djanet dont le secteur sanitaire n’avait de toutes les façons pas les personnels nécessaires au fonctionnement d’un hôpital. Le problème de la population de Djanet n’était pas l’absence d’un hôpital, mais l’éloignement par rapport au centre de soins, en raison de l’immensité territoriale de cette wilaya. Lorsqu’il se produisait un accouchement dystocique à 300 km de Djanet, le centre de santé n’avait qu’un seul recours : Utiliser les moyens de communication de la gendarmerie pour appeler Djanet, le secteur sanitaire dépêchait alors un médecin et c’est une agence touristique qui prêtait une 4X4 pour le mener vers la parturiente à 300 Km de là !!! Il était évident qu’une étude sérieuse aurait montré que ce qu’il fallait pour Djanet n’était pas un hôpital. Il fallait mettre à disposition un hélicoptère qui aurait réglé 80% des problèmes, pour les urgences et pour le suivi des populations nomades. Pour les équipements, on a installé des lobbies et on leur a dit : Vous avez un chèque en blanc et achetez ce que vous voulez. Je cite un cas caricatural, celui des microscopes électroniques. C’est un instrument de recherche qui ne sert pas à faire des diagnostics. Dans une ville comme Genève à l’époque il n’y en avait que deux ! On en a acheté 12, deux pour chaque CHU. Ils ont bien été livrés, mais ils n’ont jamais été installés et ils n’ont jamais servi. J’ai essayé de savoir récemment ce qu’ils sont devenus, impossible. Au dépôt de l’Enemedi, j’y suis allé quand j’étais chef de service à l’hôpital d’Ain Taya, c’était la caverne d’Ali Baba. Des quantités ahurissantes de matériels étaient entreposées là, personne ne savait ce qu’il y avait dedans. C’est un exemple de gestion calamiteuse. On dépense de l’argent dans l’achat des meilleurs équipements, on construit des hôpitaux mais sans tenir compte des besoins de la population et du développement urbain du pays… Le malade n’est plus au centre du système de santé. Celui-ci est entre les mains de lobbies qui pèsent de tout leur poids pour s’approprier une partie de la rente… Arrive la crise financière avec la chute du prix du baril de pétrole, les émeutes 88 et la crise de la dette extérieure. On décide de serrer la vis.

* Les années 90 furent les plus noires.

Le FMI a décrété qu’on dépensait trop en matière de santé. La dépense nationale de santé qui représentait 6,5 à 7% du PIB à la fin des années 80 est tombée à 3% après le passage du FMI. Elle est aujourd’hui aux alentours de 4%.

Ce sont des indicateurs significatifs et précis qui permettent de comprendre quelle a été la volonté politique. La restriction a été si forte qu’on n’a pas pu acheter d’autres équipements. On n’en avait peut-être pas besoin, mais on n’a pas pu également assurer l’entretien des équipements achetés dans les années 80. On s’est retrouvé avec des hôpitaux transformés en véritables cimetières d’équipements abandonnés, par manque de pièces détachées… Les années 90 ont été un véritable désastre. De plus, avec la guerre civile, s’est produit un départ massif de médecins qui ont soit quitté le pays, soit quitté le secteur public pour aller vers le secteur privé, mieux rémunérateur. Nous sommes actuellement en train de reproduire les erreurs de la politique des années 80. Comme pour les années du PAP, on a tendance à faire la même politique : on a de l’argent, on achète…. Les mêmes comportements, les mêmes attitudes, c’est incroyable ! Je cite le cas caricatural d’un service de médecine à Alger qui a acheté pour plusieurs milliards d’équipements qui restent dans les cartons et ne servent pas ! Car on a décidé de refaire des travaux dans le service. On a donc fermé le service pour cause de travaux ! Je trouve que cela montre que ce n’est pas le malade qui compte, ce qui compte c’est acheter des équipements, changer les lavabos, les dalles de sol…Les médecins, ils sont 14, vont se tourner les pouces, payés à ne rien faire, tant que dureront les travaux. Cela ne gène personne !

Le malade est devenu un intrus dans le système, il n’est pas l’objet ! L’objet c’est on a un budget, il faut le dépenser, on va se faire plaisir… Comme il n’y a pas une stratégie, une ligne directrice qui permet de savoir où va chaque sous, on est soumis aux lobbies. On a donc le lobby de la radiologie qui va acheter les meilleurs scanners du monde… L’hôpital de BEO est un hôpital super-équipé avec des scanners de 320 barrettes etc.., mais j’aimerais bien qu’on fasse le bilan de ce qui se fait dans ce service par rapport à son équivalent dans un hôpital parisien ! Non pas pour stigmatiser l’équipe en charge de ce service, mais pour bien montrer qu’un système ne peut pas fonctionner sans une stratégie de développement global qui inclut toutes les mesures devant aller en aval et en amont d’une unité de diagnostic ou de soins. Aujourd’hui, et ce n’est pas pour jeter la pierre aux médecins qui sont aussi victimes des lobbies et écartelés antre le manque de moyens et la pression énorme des malades, on décrète que c’est le cancer qui est le problème le plus grave du pays. Et on va dépenser de l’argent dans ce sens. C’est une bonne chose, bien sûr, mais d’un autre côté, il faut bien arbitrer entre les différentes urgences sanitaires qui pèsent sur la population. Faut-il mettre de l’argent que dans le cancer ? Est-ce qu’il n’y a pas les 10 000 insuffisants rénaux en dialyse chronique et qui ne trouvent pas de porte de sortie car la greffe rénale n’arrive pas à suivre ? Quel poids donner aux urgences cardio-vasculaires dans les budgets de santé ? Quid des 10% des femmes qui accouchent et qui font des complications graves ? Une chose qui doit disparaitre dans un pays moderne. Mais qui va s’en occuper… ? Si une pathologie donnée est entre les mains d’un lobby puissant, elle va faire parler d’elle dans la presse et des pressions terribles vont s’exercer sur le politique pour débloquer les budgets.. Si par contre, ce ne sont que des pauvres femmes qui accouchent et pour lesquelles il ne faut qu’une organisation sanitaire qui ne demande pas beaucoup d’argent, leur situation restera ignorée du public et du ministère de la santé. On refait actuellement exactement les mêmes erreurs que dans les années 80. On est dans les années du PAP : on va créer de nouvelles structures, agrandir celles qui existent, on fait des travaux d’aménagements, tous les hôpitaux sont en chantier, et on va rééquiper… Il faut bien entendu construire des hôpitaux, acheter des médicaments et il faut équiper, c’est clair, mais cela doit se faire sur la base d’un programme, d’un objectif… Quand on se rend compte que nous n’avons que 300 dollars à dépenser par habitant, cela implique une stratégie avec une hiérarchisation des priorités et un système complètement transparent d’allocation des ressources avec la participation de tous les intervenants… Si on n’a pas ces instruments : un programme national de court, moyen et long terme, pertinent, appuyé sur les vrais besoins de santé de la population avec une stratégie de mise en œuvre qui tient compte de nos moyens, un système d’allocation des ressources transparent, qui finance des programmes et non des structures, la gestion de cette ressource rare ne peut déboucher sur le mode de gestion actuel, celle du jeu des lobbies. Si l’Etat n’est pas capable de développer sa propre politique de santé, les autres, en particulier l’industrie pharmaceutique va s’occuper de faire une politique à sa place…

Pourquoi l’Etat est-il incapable ?

Pourquoi n’arrive-t-on pas à promouvoir un développement économique et social ? Cela revient au même. C’est un problème de politique globale. Il y a des choix politiques stratégiques qui doivent être faits. On est aujourd’hui dans l’ambigüité totale. D’un côté on dit que le ministère de la santé va faire ceci et cela, prendre en charge les cancéreux…, mais quand on compare avec les principaux indices de santé (mortalité infantile, juvénile, mortalité et morbidité maternelle etc..), qui sont impitoyables et qui sont disponibles, on se rend compte que par rapport à l’argent investi et l’effort de formation médicale et para-médicale consenti, on n’est pas parvenu à des résultats à la hauteur des ces investissements. Il y a même un recul dans certains domaines. Par rapport à la Tunisie qui n’a pas les ressources de l’Algérie, les indicateurs de santé de l’Algérie sont moins bons. On peut multiplier les exemples à souhait. Par exemple, le développement des centres de diagnostics et de soins du secteur privé se fait n’importe comment… Ces centres doivent s’inscrire dans le cadre d’une politique globale de santé. Il y a des normes que le ministère de la santé doit développer en négociation avec les professionnels. Ceci est important parce que ces centres dispensent des actes qui ne sont pratiquement pas remboursés par la sécurité sociale et sont donc payés directement par les malades. La prise en charge des soins par les ménages devient trop importante, cela pose d’autres problèmes. En Algérie, la part des ménages dans la dépense globale de santé dépasse 40%, c’est énorme. Dans des pays sérieux, cela ne dépasse pas les 10%.

C’était le cas dans les années 70 ?

Effectivement, dans les années 70, la part des ménages était de 10%, elle est aujourd’hui de 40%. Le reste est partagé entre la sécurité sociale et le budget de l’Etat. L’évolution de cet indicateur donne à penser que c’est un choix politique délibéré. Il faut donc arrêter cela et penser à proposer des solutions structurelles. Il faut un débat sur la nature du système de santé que l’on veut construire. Je suis un médecin privé, on ne peut m’accuser d’être contre le secteur privé. Au Canada, les médecins sont considérés comme des entrepreneurs privés. Qu’il travaille dans une structure publique ou dans le privé, le médecin est rémunéré de la même manière. C’est lui l’entrepreneur. Le principe est que le malade qu’il aille dans le public ou le privé, n’ait pas à débourser, il a une carte de sécurité sociale pour cela. La négociation se fait en dehors du malade, elle est permanente entre le payeur, l’Etat ou la sécurité sociale d’une part et le producteur de soins d’autre part. On est en négociation permanente pour mettre en place les balises qui permettent d’éviter le pire qui puisse arriver à un système de santé : L’inflation des coûts. Si vous dites que les gens peuvent aller librement où ils veulent et que vous laisser le secteur privé et le secteur public développer tous les soins qu’ils veulent, ils vont produire le maximum de soins pour récupérer le maximum d’argent. Cette inflation des coûts est quelque chose qui ne peut être acceptée surtout dans un pays qui ne dispose que 300 dollars en dépense de santé par habitant et par an. C’est clair et net. Il y a des balises à mettre en place. La première décision est d’engager le débat politique sur la nature du système de santé. Est-ce qu’on le considère comme un bien commun, un facteur essentiel de cohésion nationale fondé sur les principes de solidarité et d’équité ? Si oui, on développe un système de soins en conséquence dans lequel le privé a parfaitement sa place. Ou alors, on considère que l’Etat n’a pas à s’occuper de cette question, on va laisser les choses se faire et à chacun de se payer des soins en fonction de ses moyens. Et je ne pense pas que les Algériens soient prêts pour cette deuxième solution. Il faut en débattre clairement. Si on tranche la question de la nature du système, on va se poser les questions : Qu’avons-nous comme pathologies, comme problèmes de santé à prendre en charge et qu’avons-nous comme moyens à mettre en place ? C’est là que le drame va surgir. L’Algérie est un pays qui est à la fois en transition épidémiologique et en transition démographique. Sur le plan démographique, la pyramide des âges est entrain de changer avec un poids plus important des séniors de plus de 60 ans. Ils étaient 5% dans les années 70 et ils seront entre 12 et 15% autour des années 2020. Pour les trois pays du Maghreb, il y aura en 2020 entre 12 et 15 millions de séniors à prendre en charge. Ces personnes sont les plus grandes consommatrices de soins et les soins les plus coûteux… Cela va peser sur la facture et il n’est pas question de l’ignorer. On est aussi en transition épidémiologique. Les pathologies qui prévalaient dans les années 60, les maladies transmissibles (paludisme, typhoïde, tuberculose etc..) ont été réduites sensiblement grâce à des politiques de prévention, vaccination, mais aussi à d’autres facteurs comme l’amélioration de la nutrition, l’assainissement et l’amélioration du cadre de vie etc… Ces maladies ont été réduites mais sans être éliminées tout à fait. Il y a eu récemment des cas de paludisme à Ghardaïa… donc il ne faut pas baisser la garde, la vigilance doit rester de mise car il y a encore des risques de flambées épidémiques. En même temps, du fait du vieillissement de la population, et du changement des modes de vie, se développent des maladies de la modernité, comme les cancers, on en parle beaucoup en ce moment, les maladies cardiovasculaires. L’infarctus fait des ravages, on a des infarctus à 30 ans ! Il y a aussi les maladies métaboliques comme le diabète, l’obésité va bientôt devenir un problème de santé publique etc… Ces maladies vont peser lourdement sur le budget de la santé. Quand on fait l’équation entre les défis que notre système de santé va affronter dans les 20 prochaines années par rapport à l’évolution de la dépense nationale de santé qui ne dépassera pas, selon moi, 500 à 600 dollars par habitant, on est face à un défi majeur. C’est un vrai débat de société qui ne peut être traité de manière bureaucratique, administratif. C’est un débat qu’il faut ouvrir ! Que les gens sachent exactement de quoi il retourne et que d’une manière ou d’une autre l’on débatte et qu’on inscrive des priorités. En sachant que la population algérienne ne peut avoir le même niveau de prestations de soins qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Si on arrête les principes de base, les choses vont découler d’elles-mêmes. On a suffisamment d’outils pour faire les études et déterminer les objectifs et les priorités sur la base desquels on peut construire une politique de sante sur cinq, dix ans, 15 ans… Quels sont les moyens à mettre en place… ? On peut construire au fur et à mesure ainsi un système de santé qui soit pertinent par rapport aux besoins de la population.

Cela veut dire que pour les 300, 400 dollars, voire 1000 dollars si on déplace le curseur de 4 à 10% du PIB, il faut mettre en place un système de financement transparent. A mon avis cette dualité qui existe entre la sécurité sociale, l’Etat et les usagers doit disparaitre. Le principe de base est que tout Algérien ait dans sa poche une carte de sécurité sociale de même couleur qui donne le même droit de prestation. Qu’il y ait un système parallèle pour le « 1% » qui a de l’argent et qui veut aller dans des cliniques huppées, je ne suis pas contre… Mais ce 1% n’a pas besoin de nous, ni de l’Etat, ils n’a besoin de personne. Il suffit de le laisser tranquille. Ceux dont l’Etat doit s’occuper, ce sont les autres qui ne peuvent pas se permettre ce luxe. Moi je pense qu’il faut une caisse commune, l’Assurance maladie. Une caisse dans laquelle les intervenants - l’Etat, la sécurité sociale, les assurances car on prend en charge les accidents de la route - vont verser une somme chaque année. Cette caisse doit avoir un conseil d’administration dans lequel seraient représentées toutes les parties y compris les personnels de santé et les usagers. Elle n’aurait qu’une seule mission : Financer les programmes de santé élaborés par le ministère de la santé en disant que mon argent doit aller à tel ou tel programme de santé pas à un autre, payer tels personnels et pas d’autres… Les comptes de cette caisse doivent être publiés pour que l’on sache où va cet argent... C’est le seul moyen d’échapper aux groupes de pression de toutes sortes et de stopper la dérive des financements et les gaspillages comme cela se passe actuellement…

On a parlé beaucoup de cancer ? C’est une priorité ?

S’occuper des cancers est sûrement très important. Mais s’en occuper, c’est aussi lutter contre le tabagisme et lutter contre certaines maladies professionnelles qui provoquent le cancer… C’est aussi faire du dépistage précoce pour traiter à temps.. Il y a des mesures en amont et en aval à prendre. Aujourd’hui, le diamètre moyen d’une tumeur du sein diagnostiquée chez les femmes en Algérie est de 4 cm, en Europe, le diagnostic est fait sur des micro-calcifications, du millimètre, avant même que la tumeur ne naisse. Bien sûr, il faut des mammographies, des échographes pour le diagnostic, mais il y aussi une formation des médecins qui doivent apprendre à examiner une femme qui se présente à leur cabinet et déceler une tumeur d’un demi centimètre… La prise en charge des cancers, c’est bien entendu les centres anticancéreux, les machines, mais c’est aussi la prévention. On ne peut continuer à traiter les cancers du poumon alors que rien n’est fait contre le tabagisme… Tout comme, on est entrain d’installer des centres de chirurgie du cerveau alors que le port du casque n’est pas imposé aux motards, et motocyclistes. C’est ce genre d’aberration qui fait qu’il y a énormément de gaspillage ; On a peu de ressources, on les gaspille car on ne les utilise pas de manière rationnelle. Donc, il faut s’occuper du cancer mais sur toutes ses facettes. Il faut négocier avec les personnels de santé concernés et mettre un vrai plan anti-cancer. Lequel ne doit pas être exclusivement dédié à l’investissement en équipements mais aussi à développer une politique de prévention et de dépistage et de diagnostic précoce. Si on arrive à replacer le malade au centre du débat, des préoccupations du système de santé, on va construire un type de système de santé. Si on exclut l’usager de ce système, on le met entre les mains des lobbies qui vont le gérer à leur manière. Et on se rendra compte au bout de dix, quinze ans qu’on a des résultats qui ne sont pas à la hauteur des investissements consentis.

Quid de la santé mentale ?

La population algérienne présente une caractéristique qui me parait assez unique, particulière. C’est une population qui a été prise en étau entre deux évènements traumatiques majeurs, la guerre de libération d’une part et la guerre civile d’autre part. Et entre les deux, se chevauchent les générations. La génération qui a vécu la guerre de libération et en a subi les traumatismes n’a pas été prise en charge sur le plan psychologique. On a pris en charge les aspects matériels pour les moudjahidines, femmes et enfants de moudjahidines, mais la réparation psychologique n’a pas été identifiée comme un problème majeur. Probablement parce que les structures de santé de l’époque n’était pas du tout en mesure de la prendre en charge. Cette génération a de plus, avec les autres générations, subie la guerre civile dont le stress était aussi majeur voire plus grave que celui de la guerre de libération en terme de choc psychologique. Au cours de la guerre d’indépendance, il y avait un ennemi clairement identifié et un objectif clair. Il y a le « nous » face à l’ennemi. Dans une guerre civile, il n’y a pas d’ennemi, c’est une guerre « entre nous ». La violence est mal acceptée, incomprise, intolérable car la victime ne comprend pas pourquoi il est l’objet de cette violence, pourquoi son « frère » lui fait subir ce traumatisme. Le sentiment d’injustice d’avoir subi une violence « illégitime » accentue de manière considérable le préjudice et place la victime dans un état de désespoir profond qui le coupe de la société et peut l’amener à des attitudes ou des réactions morbides.
Or, là également, la réparation, au niveau institutionnel, n’a pas été prise en charge.

Comment définir le stress post-traumatique ?

Une phrase le défini assez bien : Un rendez-vous raté avec la mort !. La réaction face à cette situation est variable. Certaines personnes ignorent ce stress. Face à un attentat à la bombe, vous avez des gens qui foncent pour aider les blessés. Au départ, le stress n’est pas intégré, il n’existe que pour les autres. Ce qui se passe ne me concerne pas, il concerne les autres. Un second type de réaction consiste à tirer un rideau. On a vécu ça, on le voit et on l’ignore. Et on fait comme si rien ne s’était passé. C’est enfoui dans le cerveau, il y a un rideau qui s’abat, c’est une forme de protection du sujet. La troisième forme est très symptomatique, crise émotionnelle, crises de nerfs, déprime…Ce sont ceux-là que voient les médecins. Ceux qui ont fonctionné de manière différente, ils vont rester peu ou pas symptomatiques et ne vont pas aller voir leur médecin, encore moins un psychiatre. En tant que médecin, j’ai connu cela. J’ai vécu une période où nous prenions en charge des anciens moudjahidines. Tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont fait l’objet de stress majeur durant la guerre de libération. Nous ne savions pas comment les traiter, on avait même un certain agacement à leur égard. Car ces gens revenaient constamment avec les mêmes symptômes. En fait, ils cherchaient à exprimer un stress psychologique majeur mais le langage faisant défaut, ils le disaient par des symptômes somatiques. L’académie ne nous ayant pas appris à reconnaitre ces pathologies, on les a ignorées de manière involontaire. Curieusement et c’est là où l’on s’est rendu compte de notre erreur, c’était dans les années 90. Ces symptômes, cette violence enfouie dans le cerveau peut rester pendant des années et ressurgir en vivant des situations identiques à celles de la guerre de libération : Ceci s’appelle un phénomène de reviviscence. J’ai eu à soigner et mes amis psychiatres bien plus que moi, énormément de personnes ayant vécu la guerre de libération et qui viennent avec des symptômes, variés, des bruyants, somatiques. Quand on les prend en charge et qu’on leur pose des questions sur la guerre de libération, sur les violences subies et sur le fait que probablement il a vécu récemment un évènement semblable qui lui rappelle les évènements traumatiques passés, c’est l’effondrement : le rideau se lève et le préjudice subit, caché au fond du cerveau depuis 40 ans s’exprime avec force.
D’un autre côté, la génération qui n’a pas connu la guerre de libération qu’à travers les parents… est aussi touchée parce que le stress post-traumatique non géré se transmet de manière trans-générationnelle. Cela veut dire que si moi je ne me suis pas débarrassé du fardeau de la violence subie, je vais le transmettre indirectement aux générations qui viennent. Finalement, notre génération était trop jeune pour subir directement la violence de la guerre de libération, nous l’avons subie indirectement à travers nos parents de mille et une manières et on nous a transmis ce stress. Les nouvelles générations qui ont vécu la situation de 90 vivent, au plan médical, la même situation.

Que faire face à ces situations ?

D’abord, le traitement n’est pas exclusivement médical. La réparation est médicale, juridique et même politique. A Bentalha, une famille a été décimée par la violence à une certaine période. On peut recevoir les victimes et leur apporter une réparation matérielle. Mais il y a une chose essentielle pour la cicatrisation de la lésion, c’est la justice. Cette dame ou cet enfant ont besoin d’être reconnus comme victimes. Il y a besoin d’identifier le bourreau et de rendre justice à la victime en condamnant le bourreau. Quitte à amnistier par la suite. Mais cette réparation juridique est importante pour la personne qui a subi le préjudice mais aussi pour les générations qui viennent. On aura ainsi réparé et fermer le traumatisme. Les pays qui ont réglé le problème on fait ce processus, l’Afrique du sud, le Guatemala : il y a une identification du bourreau, de la victime et une condamnation du bourreau. Il y a eu dans la plupart des cas amnistie, mais après que justice ait été rendue. Dans ce cas, elle est acceptée par tous. Si on amnistie avant que justice ne soit rendue, la blessure ne cicatrise pas. On est en plein dedans. Les Marocains ont fait le chemin à moitié. Ils ont montré les victimes à la télévision mais pas les bourreaux. Ils n’ont pas réglé le problème. L’un des indices que ce n’est pas réglé, c’est la violence. Une des réactions du stress post-traumatique, c’est la violence. On n’a plus conscience parfois des agissements extrêmement violents que l’on peut produire. Même chez les jeunes de la génération qui n’ont pas vécu directement les violences. Ces jeunes vont automatiquement être touchés par la violence. Perpétuer l’injustice, c’est perpétuer la violence ; le médecin la dedans, peut gérer au cas par cas mais pas tous… car c’est un problème de société, pas une simple maladie donnée en charge à la médecine ; c’est une pathologie qui relève du politique, du juridique, du social… Aujourd’hui, dans un pays bien structuré, quand il y a un tremblement de terre, il y a automatiquement un dispositif pour le traitement du stress post-traumatique...

Il parait que le stress post-traumatique a été décrit en Algérie, pour la première fois ?

En effet, un des premières descriptions académique du stress post traumatique a été le fait d’un psychiatre de l’armée française en Algérie.

C’est les 50 ans de l’anniversaire de la mort de Fanon...

Il y a beaucoup des choses qui nous interpellent. Ce qui me gène, est qu’on essaye de cacher le soleil avec un tamis, que l’on essaye d’imposer le silence autour de cette question comme si on allait résoudre le problème. Or, si on l’ignore, cela va nous exploser à la figure. Aujourd’hui, les problèmes de violences urbaines, à l’école, les violences conjugales, sont en partie liés à ces phénomènes. Ils s’ajoutent à la fermeture aux espaces de négociation et d’intermédiation nécessaires à toute société pour régler pacifiquement les conflits. Quand on emprisonne des harragas et qu’on amnistie un terroriste parce qu’il s’est rendu, sans le juger, on créé des situations de fait qui poussent à la violence. Quand on refuse aujourd’hui de rendre justice aux familles de disparus en sachant qu’il s’agit là d’un stress post-traumatique grave et irréparable, tant qu’un travail de deuil n’a pas été accompli, le problème reste en suspens. Le fait de dénier les droits à leurs familles en leur donnant un certificat de décès et un peu d’argent, on enracine la violence dans la société et on la transmet de manière trans-générationnelle. C’est un vrai problème, si on ne le prend pas en charge de manière rationnelle, scientifique et de manière politique, on va vers des problèmes assez graves.

Que faire ?

La volonté politique est primordiale. Si l’on reste dans le déni au nom de la réconciliation, à dire qu’il ne s’est rien passé, que la tragédie nationale c’est fini… C’est une fausse solution pour un vrai problème. Je souligne que le problème existe aussi au sein des forces de sécurité, pompiers, gendarmes et militaires, qui étaient en première ligne et aux avant-postes… Je ne suis pas sûr que la question est prise en charge… J’en vois beaucoup qui étaient aux prises à des situations exceptionnelles, cela peut donner lieu à des phénomènes assez graves ; Je dois aussi souligner, malheureusement, que c’est à cette période que de nombreux psychiatres algériens ont quitté le pays. En France, il y avait à cette période un vrai déficit en psychiatres, ils étaient bien heureux d’accueillir et de recycler les psychiatres algériens. Je dois dire que rien n’est irréversible, on n’est pas dos au mur. Il y a des ressources aussi bien dans le privé ou le public… Il y a des grandes compétences.

Combien sont-ils partis ?

On parle de 6000 spécialistes qui sont partis. Certaines spécialités se sont vidées, comme la psychiatrie. En face, il y avait une pompe aspirante qui a fonctionné. Mais il y a des compétences, il y a de l’argent…Même avec 300 dollars par habitant, si on fait le diagnostic que le système de santé est très important et qu’on ne peut faire du développement avec une population mal soignée, si on dégage les ressources, on peut avoir un système de santé pertinent et efficace… Il faut donc engager un débat national sur la politique de santé… Il faut mobiliser les compétences et se mettre au boulot. En dix ans, on peut escompter récupérer des bénéfices. Mais il y a un pré-requis politique. Sinon on continuera à dépenser beaucoup sans avoir un système efficace. Cela a un nom, du gaspillage.

* INSP : Institut National de Santé Publique

Bio Express :
Pr. Farid CHAOUI :
Etudes de médecine à la faculté d’Alger : Diplomé en 1975. Professeur de gastro-entérologie en 1987.
Chef de service hospitalo-universitaire à l’hôpital de Ain Taya puis au CHU de Bab El Oued de 1985 à 1993
En activité libérale depuis 1993.
Membre d’un groupe de reflexion sur la santé et l’université à la Présidence de la République (groupes informels des réformes) 1985-89
Chargé de mission auprès du 1° ministre dans le gouvernement Hamrouche en 90-91, chargé du dossier de réforme de la santé et de la sécurité sociale.
Actuellement coordinateur d’un groupe de réflexion sur les systèmes de santé dans le sud-méditerranée, au sein de l’institut de prospéctive economique méditerranéen( IPEMEd).
Co-président (avec le Pr. F. CHITOUR), d’un groupe pour la formation des personnels de santé en psycho-trauma (1998-2002)
Président de l’association des gastro-enterologues libéraux de l’algérois.

in la NATION
mardi 04-01-2012