(Array|find{1192}|oui)

Entretien avec Nacer Mehal, ministre de la Communication : « L’audiovisuel est un sujet extrêmement délicat et sensible »

Des changements viennent d’être opérés à la tête de l’ENTV et de la radio nationale. À quelle logique ces changements obéissent-ils ?

Permettez-moi de dire d’abord que nous ne sommes pas "gardiens du statu quo". Ces changements obéissent à une logique simple. Après la loi organique sur l’information, il est apparu nécessaire d’opérer des changements. On est dans une nouvelle dynamique d’étape qui veut aussi qu’on rétablisse dans sa plénitude le service public, aussi bien de la télévision que de la radio. Je crois qu’un pas a été déjà fait au niveau de la radio.

À la télévision, des améliorations ont été faites et doivent être accentuées. En tout cas, le service public de la télévision, de la radio et de la presse écrite sera un credo de base pour être en phase avec l’évolution de la société et du champ démocratique algérien. Et pour tout dire, pour être en plein accord avec les réformes initiées par le président de la République.

On attend toujours la loi sur l’audiovisuel…

C’est qu’on doit attendre. Je m’explique : la loi organique sur l’information a été votée au mois de décembre. Elle est entrée en application début 2012. Nous sommes en train de préparer la loi sur l’audiovisuel qui a été déjà annoncée dans la loi organique sur l’information. Le gouvernement qui sera formé après les élections législatives du 10 mai aura la charge de présenter cette loi au futur Parlement qui sera issu de ces élections.

Des chaînes de télévision sont lancées à partir de l’étranger. Comment sont-elles perçues ?

En ce qui me concerne, je ne peux parler que des chaînes qui peuvent naître et exister légalement en Algérie.

Peut‑on connaître les grandes lignes du projet de loi sur l’audiovisuel ?

Il consacre les principes déjà annoncés dans la loi organique sur l’information, dont la liberté de créer des chaînes thématiques. La loi permet l’ouverture de l’audiovisuel aux capitaux privés. Pour cela, il faut non seulement une loi sur l’audiovisuel, mais aussi une autorité de régulation déjà prévue dans la loi organique. Cette autorité paritaire est composée de sept membres élus par des gens de la profession et sept membres désignés par le président de la République et les deux présidents de chambres du Parlement. À charge pour cette autorité de mettre en place le cahier de charges pour la création de chaînes de télévision.

L’audiovisuel est un sujet extrêmement délicat et sensible. Ce n’est pas comme la presse écrite. C’est pour cela qu’il faut prendre tout ce qui est de bon dans les expériences menées ailleurs pour l’adapter chez nous. Nous avons commencé et nous continuons à consulter l’ensemble des dispositifs de lois avec des équipes de juristes algériens.

La chaîne Magharebia, qui a vu le jour récemment, a accusé les autorités algériennes de bloquer sa diffusion. Le gouvernement a‑t‑il demandé l’arrêt de sa diffusion ?

Le gouvernement est accusé de beaucoup de choses. Il a bon dos mais enfin, passons ! Pour répondre à votre question, le gouvernement n’a aucune prise sur les satellites et nous n’avons jamais demandé quoi que ce soit à personne. C’est clair, net et précis.

Quels types de chaînes de télévision privées seront autorisés ?

Nous commençons d’abord avec les chaînes thématiques. C’est écrit dans la loi organique. Après, il y aura peut‑être une évolution de la législation et en fonction de cela, la future loi sur l’audiovisuel fixera ce qui sera autorisé. Il y aura des débats et des amendements. Je ne peux préjuger. Peut‑être verra‑t‑on un consensus autour d’une alliance entre le public et le privé.

Globalement, la loi sur l’information a été beaucoup critiquée. Certains l’ont qualifiée de liberticide…

Je m’inscris en faux contre tous ceux qui ont parlé de loi liberticide. Si c’était le cas, ce serait une grave injure à l’égard de tous ceux qui ont pris part et contribué à l’élaborer, à la discuter, à la débattre. Au niveau du ministère, de nos partenaires dans les médias et au Parlement. Cette loi a été revue dans son ensemble par une éminente personnalité connue pour son engagement ancien dans la défense des droits de l’Homme, maître Miloud Brahimi. Peut‑on accuser maître Brahimi d’être liberticide ? Je ne le pense pas. Pire ce serait une injure à un grand homme de convictions et de principes. Maître Brahimi a émis certaines objections dont il a été tenu compte. Je mets au défi quiconque de me donner la preuve du caractère liberticide de cette loi.

Vous savez, on a pris l’habitude, dans notre pays, de se faire l’apôtre de beaucoup de concepts. Et puis, qui a le monopole des libertés ? Nous aimons et chérissons tous les libertés ! On a tous combattu pour la liberté d’expression, dont je suis un partisan plus que convaincu. Mais la liberté est aussi une responsabilité. On ne peut pas publier n’importe quoi au nom de la liberté d’expression. J’ai appelé à une meilleure professionnalisation, à une meilleure formation des journalistes et à une plus grande responsabilité des éditeurs. L’accès aux sources doit être total. C’est le travail de tout le monde : décideurs, journalistes, éditeurs. Tous les segments de la société civile concernés se doivent de participer. Je tiens à saluer tout ce qui a été fait par notre presse, je rends hommage à tous ceux qui se sont sacrifiés pour cette profession. En toute modestie, je voudrais contribuer à construire une nouvelle ère dans la communication en Algérie.

Il y a des concepts flous comme le secret d’État, la stratégie économique…

Dans tous les pays du monde, il existe des lois qui protègent le secret d’État, le secret professionnel, la sûreté de l’État. On a énoncé des principes généraux. Il appartient à la justice de déterminer au cas par cas. Dans le fonds, c’est une loi équilibrée.

L’accès aux sources n’est toujours pas garanti aux journalistes…

Vous avez certainement raison. Il y a une panne de communication institutionnelle. On doit le dire et le reconnaître. On est en train de faire évoluer ce dossier qui est au niveau du gouvernement. J’ai suggéré l’installation de porte‑parole et l’ouverture de la communication de chaque ministère et administration. Nous vendons mal notre action. Peut-être qu’on n’a pas accordé beaucoup d’importance à cet aspect. Les choses sont en train d’évoluer. On a organisé en présence de spécialistes un colloque sur la communication institutionnelle pour justement faire évoluer les mentalités mais j’avoue qu’il y a encore du chemin à faire.

Dans la loi sur l’information, le rôle de l’Anep n’a pas été évoqué…

On ne traite pas d’une société, fut‑elle l’Anep, dans une loi. Sur la publicité, il y a une loi qui va venir. Il y a aussi une loi sur le sondage d’opinion, toutes deux annoncées déjà par le président de la République dans le cadre des réformes qu’il a initiées. Tous les journaux reçoivent la publicité publique. Il y a aussi la manne publicitaire privée dont personne ne parle. Il faut peut être casser le tabou autour de la publicité publique. Il y a des règles selon lesquelles cette publicité publique est donnée aux journaux à la demande de l’annonceur. Le débat futur nous éclairera.

Dans la nouvelle loi sur l’information, la presse électronique a fait son apparition. Qu’attendez‑vous de cette nouvelle presse ?

L’existence des sites électroniques est libre. Les journaux électroniques doivent avoir une adresse. Il faut bien que l’on sache qui fait quoi sur ces sites. Les sites ne doivent pas être faits de façon anonyme ou clandestine. Après, c’est aux journaux électroniques de se discipliner pour être des sites professionnels.

Si un site internet ne se déclare pas, sera‑t‑il fermé ?

Il y a une réglementation en la matière qui est prévue. On ne peut pas user d’un site inconnu pour consacrer une sorte de droit à la diffamation et à l’insulte. Chacun est libre de critiquer, mais dans les cas de diffamation et d’injures, la justice doit pouvoir faire son travail.

Contrairement aux pays arabes, l’Algérie n’a pas de grand média de référence…

La seule chose qui est prévue est de construire une grande radio nationale et un grand média public de télévision. J’espère qu’on va réussir. Il y a des gens qui plaident pour l’ouverture de nouvelles chaînes. Il est difficile d’aller à l’aventure pour ouvrir de nouvelles chaînes. Ce n’est pas seulement une question d’argent. Mais cela nécessite des moyens techniques et humains. Je dirais même des moyens humains plus que techniques.

Pour les chaînes existantes, une réforme de fond est entreprise. Dans la Loi de finances 2012, il y a un fonds de 400 millions de dinars pour la formation des journalistes et tout le personnel des médias, y compris de la presse écrite privée, en partenariat avec l’École supérieure de journalisme et des centres de formation étrangers, pour relever le niveau des journalistes.

Il y a des discussions sur l’augmentation de salaire des journalistes des médias publics. Les journalistes demandent plus que ce qui a été obtenu par la commission…

On s’est mis d’accord, au sein d’une commission composée de représentants syndicaux, de représentants du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale et du ministère de la Communication, sur une grille de référence pour l’ensemble des journalistes, une nomenclature des métiers et une gestion de la carrière des journalistes. Je tiens à rendre hommage au travail de cette commission. Après cela, d’autres qui sont dans la surenchère ont demandé beaucoup plus. Mais cela pourrait mettre en péril la santé financière des entreprises. Je crois que ce qui a été obtenu est déjà une forme d’encouragement et de stimulation pour tous les journalistes, y compris les débutants. La commission a travaillé sur le point indiciaire. Si demain, on veut faire évoluer les salaires, il suffira de toucher au point indiciaire. Il y a encore des discussions. La porte du dialogue est toujours ouverte.

Peut‑on avoir des détails sur les futurs salaires dans le secteur public ?

Ce qui est prévu, c’est une réhabilitation de la fonction journalistique avec notamment une visibilité dans la carrière et la promotion interne en fonction des capacités de chacun. Il y a une ambition d’arrêter le nivellement par le bas, d’encourager les jeunes compétences et de construire l’avenir par la formation et le perfectionnement, qui seront les critères de promotion. Quant aux futurs salaires, je suis conscient qu’il faut qu’ils soient honorables pour la profession.

Et les journalistes de la presse privée ?

C’est une grille de référence qui peut servir de base pour la discussion sur les salaires dans le secteur privé. Il y a une loi qui organise les relations de travail. Chacun est libre d’agir comme il veut, selon ses possibilités. J’avais eu à dénoncer cette situation de précarité. J’avais dit que le secteur public protégeait ses journalistes, contrairement à beaucoup dans le secteur privé qui ont profité de la situation de précarité des journalistes pour mieux les exploiter. J’ai parlé à l’époque des trabendistes dans la presse. Je crois que le message a été saisi mais pas toujours suivi d’effet. On verra.

En 2011, vous avez déclaré à maintes reprises ne pas être content du Journal télévisé de l’ENTV… Est‑ce toujours le cas ?

Il y a quelques jours, j’ai reçu un SMS d’un chef de parti qui protestait contre la manière dont la télévision a couvert son congrès. Il y a des partis dont on ne connaît pas encore le poids réel et qui réclament – hors campagne électorale – un standing de première classe. Nous sommes dans une transition. Il y a de fortes demandes de la part des partis durant cette phase préélectorale. La télévision algérienne fait le maximum pour faire face aux exigences d’ouverture démocratique mais il est vrai qu’un jour, il faudra bien faire évoluer les choses vers un journal télévisé très professionnel qui privilégie l’information du jour, les regards d’angle, les réactions.

Nous sommes en train de préparer une réforme qui, je l’espère, ira dans ce sens. Je n’étais pas content du tout du JT. Quelques améliorations ont été introduites. Dans la réforme de la télévision, il est envisagé que les trois chaînes généralistes puissent à terme arriver à faire trois journaux télévisés différents. Provoquer une sorte de concurrence entre les trois chaînes publiques dans la programmation et l’organisation des plateaux, des débats. Le vœu est qu’il y ait trois chaînes avec des grilles de programmes différentes. Lorsque j’ai dénoncé la médiocrité des programmes télévisés, ce n’était pas pour enfoncer les gestionnaires. Ni les journalistes, ni personne d’autre. Et devant le Conseil de la Nation [le Sénat algérien, NDLR] , j’avais affirmé que la situation, de la télévision était la conséquence de politiques qui remontent loin dans le temps. Il fallait prendre à témoin l’opinion que nous sommes au courant de la situation et que nous allons nous réformer. On ne peut pas continuer comme ça. Il faut changer.

Nous allons célébrer cette année le 50e anniversaire de l’indépendance de notre pays. En France, il y a débat sur la modération dans le traitement médiatique de cet évènement. Qu’attendez‑vous des médias algériens ?

Je crois que nous avons le devoir de commémorer, surtout dans nos médias, les cinquante années du recouvrement de notre indépendance, de manière responsable et sobre. On peut tout enlever à un peuple sauf sa mémoire. On n’a pas le droit de toucher à la mémoire d’un peuple. Je ne vois pourquoi d’autres peuples ont le droit d’entretenir leur mémoire et pas le peuple algérien, qui a donné beaucoup pour se libérer, consacrer les principes de justice et reprendre sa place dans le concert des Nations. Ce n’est que justice que cette mémoire soit entretenue, mais pas du tout pour produire de la haine contre quiconque.

La mémoire doit être enseignée à toutes les générations. C’est le meilleur hommage qu’on puisse rendre à nos moudjahidine, aux victimes des pogroms de toutes les époques depuis la résistance héroïque de l’Émir Abdelkader jusqu’en 1962. C’est donc à tout ce travail de mémoire que les médias publics et certainement les autres vont s’atteler durant cette année du cinquantenaire.

Serez‑vous candidat aux prochaines législatives ?

Non. J’ai la conviction que l’on peut servir son pays autrement.

tsa le 28-02-2012