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Journée internationale sur les migrants : La LADDH dénonce le « déni de solidarité »

Le 18 décembre coïncide avec la Journée internationale des migrants.

A cette occasion, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a organisé, hier à Alger, une conférence consacrée à la thématique et l’actualité des migrants en Algérie. « L’Union européenne veut faire de l’Algérie un sous-traitant pour filtrer la migration entre les pays du Nord et du Sud, ce que les Européens ne peuvent pas faire en raison d’une opinion publique forte qui ne peut tolérer que les droits des migrants soient bafoués », dénonce le président de la LADDH, Noureddine Benissad. Autre point relevé : il existe selon lui un « déni de solidarité ». « Il y a un amalgame entre les associations qui aident les migrants et les réseaux maffieux qui les exploitent. La loi n’est pas claire à ce sujet », affirme-t-il.

Et d’ajouter : « La loi sur les associations de janvier 2012 rend difficile le travail des organisations avec les migrants. » Pour le président de la LADDH, il faut traiter la question de la migration sous l’angle des droits humains, car dans l’imaginaire populaire « les migrants apportent des maladies, de l’insécurité et de la drogue ». Le conférencier rappelle que « l’Algérie a ratifié, au lendemain de l’indépendance, la Convention de Genève sur l’asile et les réfugiés ». Il poursuit : « Il n’existe pas de cadre national pour appliquer ce texte afin de déterminer les droits et les obligations. » L’avocat, Wadie Meraghni, souligne pour sa part que « la loi sur l’asile est suspendue depuis deux ans », tout en ajoutant que « l’Algérie a ratifié des textes pour garantir aux migrants l’accès aux soins et à l’éducation ».

Selon les statistiques présentées par la coordinatrice de Médecins du monde, Charlotte de Bussy, « le profil des migrants se compose essentiellement de Subsahariens d’Afrique centrale et de l’Ouest, des jeunes de 28 à 29 ans principalement. Les premières raisons de migration sont économiques ou pour fuir les conflits. 80% des migrants disent que la destination finale n’est pas l’Algérie. Finalement, une fois que la période de trois mois de présence est dépassée, ce n’est plus un transit. 13% disent vouloir rester ». Elle avance qu’« il existe de 25 à 30 000 migrants sans papiers en Algérie, sur un total d’environ 100 000 ». Mme de Bussy indique que « 45% des migrants subsahariens sont des femmes en âge de procréer. 80% d’entre elles déclarent avoir des enfants ». « Certaines craignent d’aller dans les centres de soins. Cela devient compliqué lorsqu’elles sont enceintes et lorsqu’elles doivent accoucher », précise-t-elle.

Refus de scolariser les enfants de Subsahariens

Notons que Médecins du monde est une association médicale pour aider les migrants à accéder aux soins. Sur ce point, Charlotte de Bussy met en relief qu’« en Algérie, l’idéologie de la santé est l’accès à tous, et ce gratuitement ». Cependant, « les migrants subsahariens ne le savent pas. C’est pour cela que nous avons conçu un guide pour les informer, notamment via les pères éducateurs, lesquels ont un accès facile aux communautés des migrants. Dans certains cas, un migrant est soigné mais se fait arrêté. Dans certains centres hospitaliers, il existe des postes de police. Pourtant, rien n’est stipulé dans la loi qu’il faut arrêter un migrant irrégulier. Ce sont des cas isolés. L’accès à la santé ne pose pas de problème. Il n’y a pas de risque d’arrestation. L’accès aux soins est plutôt favorable aux populations migrantes. Le système de santé algérien est avantageux, gratuit et facile, tandis qu’en France, on exige une carte d’assurance sociale ».

De son côté, Abdelmoumen Khlelil pense que « l’Algérie est devenue une terre d’accueil alors que des Algériens tentent l’immigration ». « La question migratoire est une problématique à double sens. Ce n’est plus un sujet marginal. » La LADDH a développé avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) un programme d’assistance juridique. « Il ne s’agit pas de s’intéresser seulement aux réfugiés », explique Abdelmoumen Khelil.
Il ajoute qu’« un autre programme a été élaboré avec l’Institut Panos, destiné aux journalistes, pour améliorer la perception sur les migrants ». Enfin, le conférencier déplore un cas de discrimination flagrant : « Les enfants de réfugiés syriens ont été acceptés dans les écoles, mais pas ceux des Subsahariens. » -

Mehdi Bsikri

Aboubacar, migrant malien à Alger : « On vante mes mains expertes, on rejette ma peau »

Entré en Algérie en 2003, des illusions grosses comme une énorme valise en carton, Aboubacar s’est finalement résigné à squatter un bout de trottoir dans une ruelle pour « éviter à mes clients, argumente-t-il, de trébucher dans leurs lacets ».

Aboubacar, frisant la cinquantaine, est malien de Gao. Il y a dix ans, il a atterri dans la capitale algérienne après un voyage terrestre harassant. « Alger était seulement une halte pour moi, une sorte de repos du guerrier. Ma religion était la conquête de l’Europe. Une décennie s’est écoulée depuis, mais mes amarres sont toujours larguées en Afrique. C’est mon destin », dit avec un ton d’humour, mais la frustration bien contenue, celui qu’on appelle le cordonnier de Meissonnier, un quartier algérois. Sans carte de séjour ni permis de travail, le Malien, comme tous ses concitoyens, contourne la loi d’une manière astucieuse. « Pour être en conformité avec la règlementation de votre pays, je quitte tous les trois mois le territoire algérien et y retourne le lendemain pour gagner trois autres mois », confesse-t-il.

Quant à la régularisation de sa situation, il « n’en rêve plus tant l’Etat algérien est rigide à ce sujet ». En effet, contacté à ce sujet le docteur Boualem Bousmaha, président de la commission des relations extérieures à l’Assemblée populaire nationale (APN), a indiqué : « L’Algérie ne s’est jamais départie de ses engagements humanitaires vis-à-vis de tous les peuples, mais ceux qui sont établis illégalement sur le territoire algérien et veulent bénéficier des lois de la République doivent se conformer à ces lois et aux textes et traités internationaux régissant l’immigration clandestine. » Une déclaration quasiment vague qui est loin de rassurer Aboubacar et ses semblables.

La loi algérienne n° 08-11 du 25 juin 2008, relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie, est encore dissuasive et répressive puisque dans son article 36, elle stipule en substance : « L’étranger qui entre illégalement en Algérie ou qui se trouve en situation de séjour irrégulière sur le territoire algérien peut être reconduit aux frontières par arrêté du wali. » L’article 49 de la même loi précise que toute entreprise employant un étranger en situation irrégulière au plan de séjour est exposée au paiement d’une amende de 200 000 à 800 000 dinars. Et même si Aboubacar travaille pour son propre compte s’il se fait arrêter il sera carrément expulsé pour travail illégal.

Selon des statistiques officieuses, ils sont plus de 5000 migrants subsahariens installés irrégulièrement ou d’une manière « illégalement » légale dans le Grand Alger. « L’Algérie manque de main-d’œuvre. Pourquoi l’Etat algérien ne nous octroie- t-il pas des autorisations de séjour et des permis de travail ? Nous sommes dans notre propre continent mais nous n’avons aucun droit. On nous tolère… mieux, on apprécie nos mains expertes, mais on n’aime pas notre peau. » Situation kafkaïenne : maintes franges de la société sollicitent les mains expertes de Aboubacar et de ses semblables mais dès qu’une campagne d’expulsion est enclenchée par les autorités algériennes ce type de subsahariens redeviennent de simples Noirs porteurs de tous les dangers du monde.

Quoi qu’il en soit, Abou – quolibet qui lui a été affectueusement collé par les riverains – a définitivement rangé sa grosse et vieille valise. « C’est peut-être du masochisme mais je crois que ce pays, en dépit de ses lois répressives à mon égard, m’a adopté et j’avoue aussi que je l’ai adopté, donc pour moi l’Algérie n’est plus une escale mais bien ma dernière gare », estime le cordonnier d’un air narquois. Le Malien de Gao continuera d’enfreindre subtilement la loi algérienne pour éviter à ses frères algériens de trébucher dans leurs lacets, comme il le dit avec affection.-

Chahredine Berriah

Elwatan du 22 12 2013