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La « surprise » de la haut-commissaire et les larmes du ministre

« Ce juge algérien pourra-t-il convoquer un général alors qu’il n’a même pas osé demander un document... ? » Mustapha Bouchachi

Une question se pose concernant le gouvernement Sellal. Ceux qui l’ont désigné connaissent-ils leur véritable marge de manœuvre ? La leur, pas celle du premier ministre. Il ne s’agît là ni d’évaluer des intentions démocratiques, ni de déceler la tendance pour 2014.Il s’agît juste d’imaginer avec quelles forces l’Algérie compte affronter la lourde facture des abus en tous genres des 20 dernières années. Une chose est sure : Netcom n’y suffira pas.

Le ministre de la justice a probablement eu plus d’une raison de se laisser submerger par les larmes en prenant ses fonctions. Une autre question est de savoir s’il peut faire autre chose que pleurer pour le secteur dont il hérite. Il n’est pas exagéré de dire que tous les malheurs de ce pays ont un lien direct avec l’état de la justice.

Véritable baromètre du niveau de déliquescence politique et morale de tout pays, l’état actuel de la justice contredit le moindre pronostic en faveur d’une Algérie, moins violente, moins corrompue, moins désespérante pour l’honnête citoyen.

Dans ses rapports avec la bureaucratie d’état ou avec le secteur privé, le citoyen algérien se sait d’avance livré à l’arbitraire le plus absolu. Les proclamations des chefs de gouvernements et des ministres successifs n’y ont rien fait. L’Algérien ne croit plus au droit et comme le dit Maître Bouchachi : « Cela vaut également pour la profession d’avocat qui en tant qu’institution de défense doit normalement mettre fin à une situation où le pouvoir judiciaire est entre les mains d’un régime. Dans cette profession, au cours de la dernière décennie, on ne s’est pas insurgé quand des affaires de torture ont été posées, quand des citoyens ont été tués dans des prisons, quand les tribunaux spéciaux ont été mis en place. »

La justice DIT la nature du pouvoir aussi vrai que l’administration, l’école, l’hôpital, le commissariat, le marché ou la rue disent l’état de la justice. C‘est devenu d’une banalité affligeante de constater que tout le pays respire l’arrogance de ceux qui ont une garantie d’impunité, côtoyant le désespoir de ceux qui se savent sans recours légal. Les deux pavant une voie royale à la médiocrité, à la corruption, au népotisme et débouchant sur ce climat de violence dont la gestion ne saurait relever des seuls services de sécurité. Il est courant d’entendre des policiers se plaindre que les truands qui terrorisent les citoyens, sitôt arrêtés, sont relâchés par la justice. Un petit délinquant de quartier peut décrire par le menu les tarifs que pratiquent tel et tel avocat pour assurer, selon le prix qu’on est prêt à consentir : la relax pour faute de preuves, une peine légère avec garantie de bénéficier de la grâce présidentielle la plus proche, la part du juge, de l’intermédiaire etc. Mais cette « délinquance ordinaire » dénoncée dans l’appareil judiciaire et que l’on retrouve partout, n’est pas sortie du néant. Quand l’ex-chef du gouvernement Ahmed Ouyahia déclare que la maffia a pris le contrôle du pays, il parle probablement d’autre chose.

On peut être sidéré par l’aveu, dans la bouche d’un ancien garde des seaux, mais de fait, le pays ordinaire celui des bureaux de poste, des services d’état-civil et de la paperasse ordinaire, celui des hôpitaux publics et des cliniques privées, celui des écoles et des universités, où les diplômes se monnaient au prix fort, a basculé depuis longtemps dans la lutte et/ou la négociation permanente du citoyen avec la « maffia de proximité ». Mr Ouyahia parle certainement d’un niveau de nuisance supérieur.

En visite à Alger, Mme Pillay, la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU s’est déclarée « surprise » que sa visite soit la première du genre dans notre pays. En langage diplomatique cela peut signifier beaucoup de choses.

Que, par exemple, l’Algérie a eu tout le temps qu’il fallait pour se mettre aux normes internationales en matière de droits de l’homme. Et qu’il va falloir mettre de l’ordre dans la baraque. Car la maison Algérie a trop de cadavres dans les placards. Trop de disparus, trop de bavures, trop de massacres, trop de trop…Et ce trop plein de violations, d’injustices et d’impunité ne peut disparaître par la magie des discours.

Mais qui, dans ce pays, pourra seulement insinuer, devant certains autochtones de haut-rang, qu’un juge algérien est tout à fait libre de recevoir une plainte pour tortures, disparition forcée ou tout autre délit puni par la loi, qu’il peut en tenir compte, et convoquer la personne visée par la plainte pour l’entendre, comme peut le faire n’importe quel juge suisse ?

In la Nation
Salima Ghezali
Mercredi 26 Septembre 2012